Désir d’enfant et fa’a’amu : la ligne de crête

Gauguin

C’est bien connu, la République qui se prétend en théorie une et indivisible sait s’adapter aux particularismes locaux : concordat en Alsace-Moselle, statuts fiscaux préférentiels à foison, cohabitation du droit et de la coutume dans les territoires ultra-marins. Le Figaro attire l’attention sur l’une de ces coutumes en Polynésie française : le fa’a’amu. Cette mise sous tutelle coutumière un peu souple permet à ses parents biologiques de confier leur enfant à d’autres personnes qui bénéficieront d’une délégation d’autorité parentale actée par la Justice. L’objectif coutumier serait de constituer une famille élargie.

Quand ces tuteurs sont métropolitains, ils peuvent alors faire établir un passeport et retourner en métropole avec l’enfant. Après deux ans, ces délégataires peuvent demander l’adoption de l’enfant à un tribunal français, ce qui leur est en général accordé sans que soit prise la peine de recueillir l’accord des parents biologiques sur cette adoption. C’est, bien sûr, un contournement des procédures d’adoption avec agrément, enquête et longue attente pour un résultat aléatoire. C’est aussi un dévoiement de la coutume, comme le prouve la proportion des délégations d’autorité accordées : en une année, soixante-dix du fait de métropolitains, sur un total de quatre-ving-dix.

Les parents biologiques, du fait de la précarité économique de la population polynésienne, ne sont pas insensibles aux arguments économiques et financiers des métropolitains en recherche de bébés. C’est la mentalité utilitariste de notre monde. Le désir d’enfant, certes légitime, rencontre un enfant pas forcément désiré par ses parents qui sont en situation difficile. Les libéraux diront qu’il y a une demande qui rencontre une offre et un ajustement par le prix qui permet un échange mutuellement satisfaisant. Jusque dans les maternités, des démarches sont faites par des notables locaux pour faciliter la mise en relation. L’hypocrisie de rigueur prétendra que c’est (aussi) pour le bien de l’enfant. Quand l’objet échangé avec une contrepartie est un humain, le terme approprié est la traite, une conséquence de l’esclavage, de la réification d’une personne.

Le parquet local s’en émeut et a fait appel dans quelques cas des décisions de transfert de l’autorité parentale. Il craint, effectivement, que ne se développe une filière organisée d’adoptions frauduleuses facilitées par le dévoiement du droit coutumier. Ces filières pourraient aller jusqu’à servir d’intermédiaires dans des gestations pour autrui. Il convient de louer la lucidité du parquet polynésien, mais aussi d’exiger que des juges métropolitains ne biffent pas d’un trait de plume une filiation sans se donner la peine de demander aux parents.

En général, les Polynésiennes sont primipares beaucoup plus tôt que les métropolitaines, avec de nombreuses grossesses et maternités de mineures, parfois de moins de quinze ans. En regardant à travers un prisme d’Européen, subordonner la première maternité à la constitution d’un couple stable et à sa maturité économique serait, bien sûr, la solution pour tarir l’offre de bébés à « adopter ». Cela passe, entre autres, par l'éducation et le développement économique. Mais est-ce culturellement acceptable chez les descendantes de celles qui furent immortalisées par Gauguin ?

Il convient, bien sûr, de rabâcher encore et encore que l’adoption est et doit rester une procédure au service exclusif de l’enfant, destinée à pallier les situations douloureuses qui s’imposent à lui. Accepter de voir dans l’adoption le moyen de satisfaire un désir de paternité/maternité contrarié, c’est quitter cette ligne de crête qui matérialise le seul chemin acceptable. En dehors de ce chemin, la dignité de l’enfant en tant que personne n’est pas respectée. Il devient un objet. C’est ce qui transforme un acte intrinsèquement généreux en un acte égoïste. Khalil Gibran écrivait, dans Le Prophète : « Vos enfants ne sont pas vos enfants. Ils sont les fils et les filles de l’appel de la vie à elle-même. »

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