Mon Père, vous êtes, avec quelques autres, à l’origine du collectif Antioche, dont on a découvert, il y a quelques jours, l’existence sur Le Salon beige, et qui réunit "des prêtres et des religieux de tous âges, ruraux et urbains, à différents niveaux de la hiérarchie ecclésiastique". Pouvez-vous expliquer aux lecteurs de Boulevard Voltaire l’objectif de ce collectif et les raisons qui vous ont poussés à le créer ?

Il est normal que les ecclésiastiques aient des opinions politiques diverses. Cela ne nous choque pas, dans les limites d’une analyse un peu approfondie des choses, puisque nous avons aussi parfois à éclairer les consciences, et dans celles des « points non négociables ». Ce qui est devenu insupportable - d’où notre prise de parole -, c’est l’injonction anti-Le Pen. Elle est aggravée par le fait qu’elle se fait l’écho, assez servile reconnaissons-le, de la sphère médiatique. Comme s’il n’y avait pas de graves interrogations à se poser sur les positions des autres partis politiques en matière de mondialisme, de défense de la vie ou d’atteinte à la dignité humaine par la réduction à l’économisme. Et je ne parle même pas des sujets sociétaux qui vous sont si chers, carrément évacués. Ramener le débat à la question migratoire en s’appuyant sur une seule phrase de l’Évangile, c’est indigne des citoyens français auxquels on s’adresse. Ouverture contre fermeture, c’est du chamanisme, pas de la politique. « Accueillir l’autre » en oubliant l’enfant à naître, c’est illogique. Nous citons volontiers les propos du pape François, dans Laudato si’, modèle de réflexion plus équilibrée sur les grands enjeux actuels. Nous nous inspirons de l’enseignement de Jean-Paul II (Mémoire et identité, par exemple), de son personnalisme enraciné et universel sans idéologie. Mais qui écoute le pape dans les circuits officiels, au-delà des propos convenus.

Le lendemain de la publication de votre communiqué, Le Salon beige a dit avoir reçu de nombreux messages d’ecclésiastiques souhaitant s’associer à votre démarche, au point qu’a été mis en ligne un formulaire (anonyme) de soutien. D’autres que vous ressentent donc ce malaise ? D’où viennent ces prêtres, principalement ?

L’écho pris par cette initiative nous a surpris nous-mêmes. Le noyau de départ est plutôt jeune, pas forcément « tradi » au sens habituel du terme. Le formulaire a réuni à cette heure une centaine de signataires. Franchement, les chiffres ne nous intéressent pas beaucoup. Nous n’avons aucun projet de perpétuer un lobby ou un groupe de pression dans l’Église. C’est l’argument qui sera employé contre nous. Il ne fait pas sens. Le but est simplement d’alerter. Et si Emmanuel Macron avait été moins net dans ses propos, mieux entouré, nous aurions eu des scrupules à intervenir. Hélas, personne ne peut en douter, il a affirmé qu’il essayerait d’abolir toutes les frontières qui restent, géographiques, économiques, humaines, aux dépens des plus faibles. Voter Marine Le Pen est envisageable pour un catholique : la preuve, de nombreux prêtres le feront.

L’autre danger, c’est le rejet de la parole épiscopale, non pour son orientation politique, mais pour son simplisme et son unilatéralisme. S’il y avait un malaise, il serait là. Ce sont toujours les mêmes qui parlent, toujours dans le même sens, toujours avec les mêmes messages… À mon tour de poser une question : Mme Cluzel, vous êtes catholique, vous êtes une personnalité reconnue, engagée dans les grands débats de la société. Vous a-t-on proposé de vous exprimer dans les colonnes de La Croix ou devant la CEF (Conférence des évêques de France) ?

On a compris qu’il était important pour vous tous de garder l’anonymat. Pourtant, certains ecclésiastiques, parfois haut placés, ne se cachent pas pour professer des idées de gauche. L’inverse est impossible ?

Sur l’anonymat, deux aspects se conjuguent. D’une part, nous sommes obligés – comme les évêques, en principe – à conserver une réserve. Nos églises sont des lieux qui ne peuvent se cantonner à recevoir les seuls membres de tel ou tel parti. Nous voulons protéger notre travail quotidien de pasteurs. D’autre part, un confrère disait autrefois : « C’est l’arme des bâillonnés par les comités. » En termes contemporains, c’est la protection du « lanceur d’alerte ». Je pourrais vous donner d’innombrables exemples de la façon dont le système évoqué plus haut, bien huilé quoique vacillant, fait rentrer dans le rang tous ceux qui lui déplaisent. Rappelez-vous la façon dont le pauvre curé de Wisembach, dans les Vosges, a été réduit en poussière en 2015, en vertu du vieux principe : « Selon que vous serez puissants ou misérables. »

Sur l’expression d’une position divergente, la réponse est non. Il n’est pas possible, aujourd’hui, d’avoir des prises de position publiques différentes. Le problème, c’est que la parole est bien plus difficile à enchaîner qu’autrefois. Les évêques devraient aussi se rendre compte que nous aurions tout à gagner à élargir nos perspectives, à établir un vrai débat où chacun pourrait librement s’exprimer. La vérité nous rendra libres. N’ayons pas peur !

Propos recueillis par Gabrielle Cluzel.

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29 avril 2017 à 23:55

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