Faut-il déposer plainte contre les membres du gouvernement, en raison de la manière dont la crise sanitaire du Covid-19 a été gérée depuis le début de l’année ? Selon Le Figaro, 71 actions pénales - « chiffre record depuis le début du confinement » - ont été intentées par de simples citoyens, tendant toutes à faire comparaître les ministres concernés devant la Cour de justice de la République. Si la démarche se comprend aisément, il n’est pas certain qu’elle aboutisse en droit.

Dire que les responsables de ce fiasco doivent être jugés est une chose. Ce ne serait pas la première fois que des gouvernants seraient traduits en justice pour avoir gravement failli à leurs obligations. Faire aboutir ces plaintes en est une autre. Car le droit pénal est d’interprétation stricte : il n’est pas possible d’inventer a posteriori des incriminations : cela ne se fait plus depuis la Révolution, en France au moins. Il faut donc démontrer que les ministres en question ont commis une infraction qui existait en droit français début 2020.

Comme le droit est une matière très précise, les commentaires du café du commerce sont hors de propos ici. Il pourrait exister plusieurs infractions susceptibles d’être retenues : les blessures et homicides involontaires, la mise en danger de la vie d’autrui, la non-assistance à personne en danger et l’abstention volontaire de porter secours. Il semblerait que le parquet de Paris ait retenu la mise en danger de la vie d’autrui, qui semble la plus opportune en la matière.

L’infraction est constituée si deux conditions sont réunies : exposer directement autrui à un risque de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente ; violer de façon manifestement délibérée une obligation particulière de sécurité prévue par la loi ou le règlement.

Le texte de l’article 223-1 du Code pénal est à lire à la lumière de l’article 121-3 qui précise :
« […] lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d’autrui ».
« Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait. »
« Dans le cas prévu par l’alinéa qui précède, les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer. »

Il est donc nécessaire de prouver que les ministres ont, par leur abstention ou leur négligence manifestement délibérée, contribué à créer la situation de crise sanitaire en exposant autrui à un risque de mort ou d’infirmité, à condition que la loi ait prévu une obligation particulière à ce sujet. Vaste débat ! Détruire des millions de masques, mentir à la population, ne pas prendre de mesures efficaces pour obtenir des tests, du gel, des respirateurs dans les plus brefs délais, tout ceci est-il suffisant pour incriminer pénalement les intéressés ?

Les pénalistes en débattront. Mais que les Français ne se fassent pas d’illusions : le procès, s’il a lieu, se tiendra dans dix ans. D’ici là, les intéressés couleront des jours tranquilles, au pouvoir ou recasés dans des lieux confortables. Quant à imaginer l’un d’entre eux en prison, il est permis de rêver…

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22 mai 2020 à 18:55

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