Le samedi 12 mars, une grande collecte a été organisée par les Restos du Cœur dans toute la France. Des bénévoles étaient présents dans plus de 6.000 grandes surfaces pour recevoir denrées alimentaires, produits pour bébés ou d'hygiène.
Malgré la crise, la générosité des ménages ne semble pas faiblir. Qu'il s'agisse des Enfoirés, du Téléthon, des Pièces jaunes ou d'autres causes charitables, les Français(e)s ont la main sur le cœur. En effet, 58 % d'entre eux déclarent avoir fait un don au cours des douze derniers mois, dont 46 % qui affirment donner au moins une fois par an, qu'il s'agisse de dons d'argent ou de dons en nature.
La réaction commune est de s'extasier devant ce phénomène, de vanter la charité de ceux qui demeurent altruistes en ces temps de crise. Et comment ne pas s'en réjouir ? Malgré les discours apocalyptiques sur l'individualisme, les sentiments humains que sont la compassion et la solidarité ne chancellent guère.
Cependant, cette charité publique peut être contestable à plus d'un titre.
Notons d'abord la multiplication des bonnes œuvres les plus diverses, la mercantilisation de celles-ci et la professionnalisation de leurs promoteurs, qui n'hésitent pas à lancer de véritables campagnes publicitaires pour toucher au cœur des ménages, grâce à des stratégies de communication diligemment élaborées.
Les conséquences sont là : développement de ce que l'on nomme outre-Atlantique le "charity-business", augmentation des dérives en tous genres et, surtout, institutionnalisation - donc dénaturation - du don, qui ne se trouve plus être le fruit d'une générosité personnelle mais le résultat d'appels culpabilisants orchestrés par des professionnels de l'humanitaire qui s'arrogent le monopole du cœur. L'on constatera avec surprise que, malgré cette profusion de bonnes œuvres, la pauvreté ne cesse de croître. Ce qui peut légitimement susciter des questionnements…
D'aucuns arguent que ladite charité publique serait un corollaire du libéralisme, voire le signe d'une "faillite de l'État" et la résurgence du système D. On ne peut leur donner tort. Si l'État combattait effectivement la pauvreté, comme les autorités ne cessent de le clamer, ce business humanitaire perdrait alors toute utilité, et le don retrouverait son véritable statut : celui d'une expression humaine de la solidarité. N'oublions pas que Coluche a créé les Restos du Cœur de manière provisoire, jusqu'à ce que les politiciens suppriment - ou, du moins, endiguent - la pauvreté, et non pour que cela devienne un business.
Il n'est pas question, ici, de mettre en cause la générosité des Français(e)s ; bien au contraire, cette solidarité est admirable, a fortiori en temps de crise. Mais on peut se demander si l'aide aux indigents ne devrait pas être plutôt prise en charge par l'État que par des organismes philanthropiques, si louables et sincères soient-ils.