[Cinéma] Marco, l’énigme d’une vie, récit d’un imposteur de la déportation

Après les fausses victimes du Bataclan et de la Shoah, le cinéma s'intéresse à un faux déporté.
Copyright David Herran
Copyright David Herran

Nous évoquions récemment les fausses victimes du Bataclan avec le mini-feuilleton Une amie dévouée. En 1996, Jacques Audiard fustigeait, quant à lui, les faux résistants de la Seconde Guerre mondiale avec son film Un héros très discret. La Shoah, semble-t-il, a également eu son lot de fausses victimes. On se rappelle, notamment, le scandale de l’organisation Claim Conference qui a permis à 5.500 personnes aux États-Unis de percevoir frauduleusement des indemnités destinées aux victimes du nazisme (42,5 millions de dollars détournés, payés par l’Allemagne…). En outre, de faux rescapés de l’Holocauste ont quelquefois été démasqués, tel le musicien suisse Binjamin Wilkomirski, à la fin des années 90.

Un faux déporté à la tête d’une association de victimes

Le cinéma s’intéresse, cette fois, à un autre imposteur fameux de la déportation. Ancien syndicaliste, élu président, en 2003, de l’Amicale de Mauthausen, qui réunit les victimes espagnoles de la déportation nazie, Enric Marco fut dénoncé par l’universitaire et historien Benito Bermejo en 2005. Ce dernier découvrit, en consultant les archives du ministère des Affaires étrangères espagnol, que Marco partit volontairement en 1941 travailler en Allemagne dans l’industrie de guerre, dans le cadre des accords passés entre Franco et Hitler… Jamais il ne fut déporté dans les camps. Cette mystification fut longuement étayée dans la presse de l’époque et fit l’objet, en 2014, d’un essai critique de l’écrivain Javier Cercas, L’Imposteur, traduit en français chez Actes Sud.

Écrit et réalisé par Jon Garaño et Aitor Arregi, qui mûrissaient leur projet depuis 2006, le film Marco, l’énigme d’une vie revient avec intérêt sur cette affaire et s’appuie aussi bien sur les travaux de Bermejo et Cercas que sur les conversations personnelles des deux coréalisateurs avec l’intéressé – une quinzaine d’heures d’entretiens aurait été enregistrée en 2011.

Un personnage pathétique traité avec humanité

Fascinant, le film propose une véritable plongée dans la psyché d’un personnage qui se ment autant à lui-même qu’aux autres. Narcissique au possible, voulant à tout prix occuper le devant de la scène, notre imposteur se saoule de ses propres paroles, ment avec aplomb et conviction, persuadé, face à son auditoire, d’avoir réellement vécu l’horreur des camps. Alors, à mesure que s’écaille le vernis du mensonge, le personnage se braque, tente la menace… Acculé par les membres de son association, celui qui s’apprêtait à prendre la parole à la cérémonie de commémoration de la libération de Mauthausen, en présence du Premier ministre José Luis Zapatero, finit par avouer, honteusement… pour mieux se poser en victime ! C’est là, véritablement, que le film trouve son intérêt. Il nous montre comment cet imposteur invétéré, jusqu’au-boutiste, parvient à minimiser, voire à justifier son mensonge pour mieux rebondir et faire parler de lui dans les médias, refusant de reconnaître la gravité de ses actes et de comprendre qu’il ferait mieux de se taire une fois pour toutes pour se faire oublier, ne serait-ce que pour le bien-être de sa famille, frappée de plein fouet par le scandale.

Plutôt prosaïques dans leur mise en scène, les cinéastes auraient pu pousser davantage l’ironie, mais ils ont choisi scrupuleusement la sobriété ainsi qu’une forme d’empathie. Plus pathétique que méchant, Enric Marco a eu droit, en définitive, à un traitement humain.

4 étoiles sur 5

 

 

Picture of Pierre Marcellesi
Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

Vos commentaires

5 commentaires

  1. Il me semble aussi que sur Mitterrand , il y aurait beaucoup à dire, en particulier sur sa soi-disant évasion puis résistance.

  2. Ce fût aussi le cas de Georges Marchais qui s’était dit déporté du travail… En fait, il était travailleur volontaire en Allemagne.

  3. Je croyais que c’était un sujet dont on n’avait pas le droit de parler …
    Beaucoup d’escrocs mythomanes se sont insérés dans cette page d’histoire.
    Qui croire ?

Commentaires fermés.

Pour ne rien rater

Les plus lus du jour

Mélanie Grapinet est victime de l’effondrement de l’Éducation nationale
Gabrielle Cluzel sur l'hommage à Mélanie Grapinet

Les plus lus de la semaine

Les plus lus du mois