Bouchons monstres pour fuir le confinement à Nice : nouveau signe de la revanche de l’arrière-pays de Florence Aubenas ?

village

Jean Castex, l'homme de Prades et des « territoires », n'avait sans doute pas prévu que l'une des conséquences de sa décision de confiner le week-end la cinquième ville de France serait de créer un immense appel d'air vers ces territoires et… de gigantesques bouchons à la sortie de Nice. Comme aux temps héroïques de mars 2020 où les Parisiens avaient fui en masse la capitale dans un remake semi-parodique de juin 40. D'après Nice-Matin, « ce vendredi soir, des kilomètres de bouchons se sont formés à la sortie de Nice. Nombreux sont les Azuréens qui fuient actuellement le littoral pour échapper au confinement partiel décidé par la préfecture pour ce week-end. L’arrière-pays est en effet épargné par ces mesures. »

L'arrière-pays. Le mot est lâché. Mot magique entre tous. Devenu synonyme de liberté, de grand air, de fuite loin de ces villes et de ces vies dont le Covid-19 a révélé toutes les fragilités, les limites et, souvent aussi, l'inconsistance. Des villes à l'heure du couvre-feu et du confinement qui deviennent des prisons. On songe à Giono. La résurrection inattendue d'un instinct de survie et de liberté. Liberté grande.

L'arrière-pays. Mot poétique. Qui a fourni son titre au livre à la fois le plus personnel et le plus enchanteur d'Yves Bonnefoy. Un arrière-pays fait d'images et de mots récoltés par l'enfant sur la carte de France de l'école primaire où le « Massif central » prenait une dimension extraordinaire, avant de s'incarner, après des heures de train, dans le village de ses grands-parents, dans l'Aveyron, sur les rives du Lot.

Justement, c'est de ce côté que Florence Aubenas, toujours guidée par un sûr instinct vers les lieux où l'Histoire est en train de se faire ou se défaire, est allée enquêter ces dernières semaines, pour Le Monde, continuant à semer ses galets de micro-histoire du temps présent. Sans savoir que l'intuition de son reportage serait soulignée par ces kilomètres de bouchons. Comme elle avait senti, dès le début de la crise des gilets jaunes, que quelque chose de fort se jouait sur un rond-point perdu de la sortie de Marmande, elle a tout de suite perçu, dans ce nouvel article sur « la revanche des épiceries et des arrière-pays dans les Cévennes et sur l’Aubrac », l'importance nouvelle de ce lieu si français qu'est l'épicerie de village. Surtout à l'heure de la fermeture des cafés et des restaurants, ce commerce est devenu le dernier îlot de sociabilité, de liberté, de vie. Un lieu de résistance, finalement.

Le reportage commence sur les hauteurs lozériennes d'un village de même pas 300 âmes, perdu, loin de tout : 1 h 30 de Mende… Mais au nom qui sonne comme un souvenir, un défi ou un programme : Sainte-Croix-Vallée-Française… Et l'un des premiers témoins croisés est « le patron de Magne, l’entreprise familiale qui assure la distribution alimentaire en camion depuis Mende ». Et là encore, la poésie rejoint le concret, car ce patron héroïque qui a tenu bon sur son terroir, c'est un certain… Pierre Bonnefoy. Sa recette ? Un constat qui devrait devenir notre feuille de route, et pas qu'en matière de commerce ou d'économie : « On s’est accrochés, on a continué à livrer là où personne ne voulait plus aller. »

À coups de plongées dans le quotidien de cette France hyper-périphérique, loin du bruit de BFM et des bouchons de Nice, Florence Aubenas rend compte de mouvements démographiques révélateurs : « Pourtant, à sa façon, la France des épiceries se retrouve maintenant à l’épicentre d’une migration discrète mais têtue des villes vers les villages. Le mouvement s’est amorcé et amplifié de crise en crise : celle des subprimes en 2008, puis celle des attentats en 2015. Cette fois, la pandémie a donné un coup d’accélérateur. »

Certains s'impatientent ou se désespèrent de ne pas voir arriver ce « monde d'après », comme le constate Alexandre Devecchio dans Le Figaro, en rappelant les envolées lyriques, vite galvaudées, d'un Emmanuel Macron ou d'un Nicolas Hulot. Une boussole sûre a poussé Florence Aubenas là où le monde d'après a déjà commencé : sur l'Aubrac, à Nasbinals, chez ces nouveaux pèlerins de Saint-Jacques.

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