Bernard Lugan est historien, spécialiste de l'Afrique. Il a écrit Esclavage, l'Histoire à l'endroit. Alors qu'Emmanuel Macron vient de rendre un hommage vibrant à Toussaint Louverture - 2023 est le 200e anniversaire de sa mort - dans le cadre de la célébration de l'abolition de l'esclavage, Bernard Lugan revient, pour BV, sur le « véritable terrorisme intellectuel exercé par la gauche culpabilisatrice »..

Gabrielle Cluzel. Il est établi aujourd'hui par les historiens que la vie de Toussaint Louverture ne correspond en rien à l'image d'Épinal qui a été longtemps véhiculée. Pourquoi tient-on absolument à maintenir en haut lieu ce discours officiel que l'on sait pertinemment faux ? Pourquoi la question de l'esclavage n'est-elle pas purement historique mais politique, et pourquoi connaissons-nous, en France, les mêmes conflits sur ce sujet qu'aux États-Unis, quand nous n'avons pas du tout la même Histoire ?

Bernard Lugan. Parce que, en France, nous subissons un véritable terrorisme intellectuel exercé, d’une part, par la gauche culpabilisatrice et, d’autre part, par ceux qui se sont baptisés « décoloniaux » ou « indigénistes ». Comme ils contrôlent les médias, ils font donc constamment passer leur message et ils dénoncent immédiatement toute pensée dissidente. De fait, il n’est plus possible, aujourd’hui, à un chercheur universitaire, de mener une recherche indépendante de cette nouvelle doxa.

Derrière cette prise de contrôle des universités et des centres de recherche se cache, chez les afrocentristes, une volonté de revanche historique, une tentative de prise de pouvoir culturel et idéologique à travers un prétendu « antiracisme » reposant, en réalité, sur un puissant racisme anti-Blanc. Ce terrorisme intellectuel se fait au nom de la dénonciation de la traite négrière de jadis en passant sous silence le fait que, si tous les peuples ont pratiqué l’esclavage, seuls les Blancs l’ont aboli… 

La matrice de cette reconstruction idéologisée du passé devenue vérité officielle a débuté avec la loi Taubira votée le 10 mai 2001, et à l’unanimité des députés, tant de « droite » que de gauche. Cette loi qui annonçait l’actuelle campagne menée au nom de l’anti-esclavagisme ne dénonce, en effet, qu’une seule traite, celle qui fut pratiquée par les Européens. Christiane Taubira a d’ailleurs donné les raisons de cette inconcevable partialité historique en déclarant qu’il ne fallait pas évoquer la traite négrière arabo-musulmane afin que les « […] jeunes Arabes […] ne portent pas sur leur dos tout le poids de l’héritage des méfaits des Arabes » (L’Express, 4 mai 2006).

G. C. Récemment, le ministre de la Défense guinéen, Aboubacar Camara, lors d'une table ronde armée-nation, a rappelé que la traite négrière par les Arabes, qui a duré plusieurs siècles, a été bien plus terrible que la colonisation française et que les conditions dans lesquelles les esclaves noirs ont été razziés, déportés, castrés, abattus étaient atroces. Cette prise de parole vous a-t-elle surpris ?

B. L. Non, ces propos ne m'étonnent pas, parce que de plus en plus d’Africains disent la même chose. Ainsi, Tidiane N’Diaye [chercheur, économiste, anthropologue franco-sénégalais, NDLR] qui a écrit : « […] bien qu’il n’existe pas de degrés dans l’horreur ni de monopole de la cruauté, on peut soutenir, sans risque de se tromper, que le commerce négrier arabo-musulman et les djihads provoqués par ses impitoyables prédateurs pour se procurer des captifs furent, pour l’Afrique noire, bien plus dévastateurs que la traite transatlantique. »

La réalité est que les traites arabo-musulmanes se sont opérées à la fois aux dépens des Européens, des Berbères et des Africains vivant au sud du Sahara. À partir du VIIe siècle, la Berbérie fut considérée comme « terre de butin » où les conquérants firent une véritable « moisson » d’esclaves se chiffrant en centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants emmenés vers l’Orient pour y être vendus dans une entreprise de chasse délibérée portant en priorité sur les jeunes filles berbères car, comme le disait Ibn Khaldun, « Ici [au Maghreb] l’on trouve les belles esclaves berbères, de toison couleur de miel ».

En plus des jeunes filles destinées à remplir les harems, les jeunes garçons étaient destinés à devenir des « mignons » ou à être « transformés » en eunuques.

G. C. Pourtant, pour tout un courant afrocentriste, seuls les Européens doivent se repentir... 

B. L. Ce que refusent de voir les afrocentristes, c’est que la traite des esclaves par les Européens eût été impossible sans le concours d’États esclavagistes africains. Les achats d’esclaves par les négriers européens se faisaient en effet grâce à des partenaires africains sans lesquels il n’y aurait pas eu de traite. Il s’agit donc d’une « coresponsabilité » qui a bien été mise en évidence par Mathieu Kérékou, l’ancien président du Bénin, quand il écrivait que « les Africains ont joué un rôle honteux durant la traite ». Quant aux évêques africains, ils ont été très clairs à ce sujet : « Commençons donc par avouer notre part de responsabilité dans la vente et l’achat de l’homme noir […] Nos pères ont pris part à l’histoire d’ignominie qu’a été celle de la traite et de l’esclavage noir. Ils ont été vendeurs dans l’ignoble traite atlantique et transsaharienne » (Déclaration des évêques africains réunis à Gorée au mois d’octobre 2003).

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14 mai 2023 à 19:25

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30 commentaires

  1. merci Monsieur Lugan ! du coup j’aurais aimé avoir plus de précision concernant Toussaint l’Ouverture et le mensonge qui entoure cet homme là !

  2. C’est sans doute pour améliorer la qualité du « vivre ensemble » que la gauche attise la haine de populations déjà animées par le ressentiment de dépendre des pays vers lesquels elles émigrent. La gauche espère t-elle finir pat déclencher en France un génocide à la ruandaise. On peut tout craindre, car la gauche a toujours démontré son talent à provoquer des catastrophes sourire au lèvres, au nom des bienfaits pour l’humanité

  3. Quel plaisir de lire Bernard Lugan, excellent africaniste malheureusement ostracisé par nos autorités qui ne comprennent pas grand chose aux problèmes et enjeux de l’Afrique.

  4. Merci à Bernard Lugan et à Boulevard Voltaire pour mettre en lumière de façon si concise et si explicite ce que tout un devrait savoir.
    Au sujet de l’esclavage arabo-musulman, doit-on rappeler à ceux qui l’ignore que le Parlement Mauritanien a adopté le 13 août 2015 une nouvelle loi contre l’esclavage, pourtant aboli en 1981 puis en 2007 mais où les anti-esclavagistes sont toujours poursuivis et condamnés. Et nous somme au XIX siècle où l’on imagine que tout ça relève d’un autre temps !
    Doit-on aussi se souvenir qu’avant 1830 la régence d’Alger et son Dey ottoman se livrait à la traite des esclaves européens, et depuis des siècles par les raids corsaires « barbaresques » sur les côtes de Méditerranée occidental.
    Cf. , par exemple les raids barbaresques en Corse
    L’historien Robert Davis estime qu’entre le début du XVI et le milieu du XVIII les marchands d’esclaves d’Alger, Tunis et Tripoli se livrèrent au commerce de 1 250 000 européens chrétiens en esclavage.

    1. Chut ! Vous allez traumatiser nos pauvres petits jeunes, issus de la migration Arabo-musulmane, qui courent à travers nos rues en tirant à la kalachnikovs. Si vous continuez, vous ferez du chagrin à Christiane Taubira.

  5. Tout est très bien dit , merci .
    On ne peut que conseiller la lecture du livre de Tidiane N’Diaye – Le génocide voilé – ou il observe qu’il y a des descendants d’esclaves aux Etats Unis , et aucun descendant d’esclave dans les pays arabo-musulmans , la raison ? la castration systématiques des hommes , d’ou génocide.
    Et l’esclavage existe encore de nos jours dans les pays musulmans , le coran le permet.

  6. Dès qu’un chercheur, un scientifique ou un spécialiste dit, après recherches très documentées et irréfutables le contraire de ce que veulent imposer les censeurs de l’intelligence, il doit être sali, marginalisé voire réduit au silence.
    Une grande spécialité de la gauche française. Lire ou relire une analyse percutante « Le livre noir de la gauche française » par Xavier Moreau. Tout y est dit et bien dit. C’est sous ce régime que nous vivons désormais au quotidien.

  7. Pour memoire ,st Vincent de Paul était mandaté pour payer des rançons pour liberer des français et espagnols capturés par les barbares !!!!
    Le reste ..littérature pour les nains ….

  8. Pourquoi blâmer les Européens pour le commerce des esclaves ?
    Historiquement il faut rappeler que ce sont des Noirs d’Afrique qui capturaient d’autres Noirs – leurs frères !!! OUI !!! LEURS PROPRES FRÈRES !!! -, puis qui les revendaient ensuite à des négriers européens…
    Il faut le rappeler et il faut bien insister : pendant plus de 350 ans ce sont des Noirs d’Afrique qui se sont enrichis sans vergogne, sans remords et sans aucun scrupule grâce au commerce de la traite avec les Européens…
    La plus grande honte de l’esclavage ne réside pas dans l’asservissement d’un peuple – les Noirs –, par un autre peuple – les Européens -, mais bien plutôt par les profits honteux, scandaleux, écœurants et inexcusables que des hommes noirs ont réalisés en revendant d’autres hommes noirs à des Européens…
    Alors à la seule évocation des horreurs de l’esclavage, tous les Noirs – tant les Noirs restés en Afrique que les descendants de ceux qui furent déportés – feraient mieux de se taire et de baisser les yeux, et s’ils pouvaient rougir ils devraient tous devenir écarlate de honte, car aucun autre peuple ne s’est autant enrichi des souffrances de ses propres frères que LES NOIRS !!!
    Et avant de se piquer de donner des leçons d’humanisme aux Européens, et plutôt que de vilipender COLBERT ou qui que ce soit, ils feraient mieux de repenser deux fois à – et de méditer longuement sur – les agissements immondes et ignobles de leurs propres ancêtres esclavagistes !!!

  9. merci monsieur LUGAN , malheureusement il y a tellement d’idiots et de bornés qui ne vous croient pas , en commençant par nos gouvernements successifs qui se plaisent à nous détruire …

  10. Monsieur LUGAN ne fait que rappeler succintement l’histoire de l’esclavage musulman. Un excellent ouvrage retrace cette histoire et rappelle tout ce que l’Europe et les Européens ont subit de la part des musulmans, rappelant les razzias sur les côtes de l’Europe du Sud, en Italie, en France (raisonb pour laquelle les villages étaient perchés et si possible fortifiés. Les enfants enlevés castrés et, pour certains, formés à l’école des Janissaires, redoutables soldats de l’empire Ottoman qui, par ce biais, tournaient leurs armes contre leurs propres frères !
    Mais, chut, il ne faut pas parler de cet esclavage là.

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