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Un jour, on regrettera l’Europe.Ahmed Al-Sarraf, journaliste koweïtien libéral, démocrate et partisan de la laïcité.

Tandis que notre continent Europe, frappé en son cœur civilisationnel, la Grèce en banqueroute, sombre corps et biens, nous, ses habitants, européens, avons renoncé à survivre.

Nous voulons notre propre fin. Nous nous considérons comme illégitimes au monde. Nous sommes à nos propres yeux le mal incarné. Nous ne souhaitons rien laisser de nous à nos enfants. Nous ne sommes même pas dignes, à nos propres yeux, d’avoir une descendance. Nous sommes pour nous-mêmes, et pour tous, la plaie ancienne du monde, qu’il convient de suturer. Nous sommes la trace baveuse laissée par l’escargot de l'histoire. Nous sommes les feuilles mortes de l’arbre-univers. Nos propres amis pensent de nous ce que pensent nos ennemis. Nous pensons de nous ce que pensent nos ennemis. Nous sommes nos meilleurs ennemis. Nous sommes à l’origine des malheurs du monde. Tout le mal du monde vient de ce que nous faisons ou ne faisons pas. Et le bien que nous avons pu faire ou ne pas faire s’est perdu dans l’histoire.

L’humanité totale, connectée, bavarde, sans mémoire, a décidé que nous étions de trop. Trop critiques. Trop incroyants. Trop portés sur le sexe, le secret et la littérature. Trop sceptiques face aux révélations du Marché et des Livres. Trop libres et trop amoureux. Trop vieux et trop lettrés. Trop pollueurs et trop consommateurs. Trop pauvres pour les riches, trop riches pour les pauvres. Trop dominants pour les dominés, trop rétifs pour les dominants. Des couloirs rutilants et puritains des institutions supranationales aux cloaques dégueulasses des bidonvilles en développement, tout le monde nous en veut.

Pour nos amis, nos partenaires, nos ennemis, l’Europe n’a plus rien à apporter au monde, sinon un exutoire à la haine, une figure commode du mépris de classe, un punching-ball pratique et disponible pour recueillir les coups rageurs des ressentiments historiques.

L’Europe responsable de toute l’Histoire doit mourir avec l’Histoire. L’Europe comme chambre où se fréquentent les genres doit disparaître avec les genres. L’Europe inventeur du complexe doit laisser la place au monde du simple.

L’Europe humaniste, tâtonnante, L’Europe erreur humaine est doublement fautive, comme erreur (ou plutôt accumulation d’erreurs) et comme humaine, c’est-à-dire bancale, perfectible, en proie au doute, ce qui est à présent douteux.

L’Europe incertaine n’a pas sa place dans un monde fait de blocs de certitudes. L’Europe qui n’a cessé de poser des questions est mal venue dans un monde qui a soif de réponses, et de réponses les plus simples possibles, les plus conformes aux dogmes et aux traditions des familles.

L’Europe libertine, volage, rieuse et sale n’a pas droit de cité dans un monde sérieux, croyant, fidèle, soumis, propre et pur.

L’Europe des libertés individuelles n’a pas voix au chapitre sur une planète où le clan, la famille, la communauté ont toujours raison.

L’Europe des nations et des peuples doit cesser d’exister dans le monde des réseaux et des tribus connectés. Entre les organisations mondiales d’élites nomades d’un côté, et les micro-solidarités locales des villages, des favelas et des cages d’escalier de l’autre, la Nation démocratique et républicaine n’a plus lieu d’être. Entre la pure rationalité morale et technique des élites mondialisées et les superstitions simplettes des plèbes enrichies de tous les tiers mondes, la nation humaniste, administrée, délibérante, n’a plus lieu d’être.

Nous sommes les générations de la fin.

Notre Europe occidentale, héritière d’une histoire riche et tourmentée, les valeurs que nos familles nous ont inculquées, les institutions que nos parents ont bâties et défendues : tout cela, nous le voyons disparaître sous les coups de béliers irrémédiables de forces aussi puissantes que convaincues de leur légitimité.

Ces forces sont globales. Leur efficacité est redoutable car elle se drape dans une apparence de morale, dans des airs positifs et séducteurs. Ces forces ne sont pas des complots, à peine des projets ou des volontés. Ces forces sont les différentes facettes de la réalité nouvelle, l’inéluctable fatalité sûre d’elle, qui emporte tout et a déclaré la guerre à l’humanité humaniste.

Nous, générations nées avec la crise économique et n’ayant vécu que par elle, l’avons vu s’étendre aux sphères technologiques, sociales, politiques, morales et environnementales. Nous assistons aujourd’hui, impuissants, à l’effondrement de tous les repères qui pouvaient ordonner tant bien que mal un destin commun. Quel que soit le domaine d’activité, la discipline, le champ d’expérience, les bouleversements sont tels en leur radicalité, leur fréquence, leur rythme, que toute résistance est inutile. Ce constat une fois dressé, il nous reste tout de même une autre marge de manœuvre : la réaction pure et simple, au sens le plus basique du terme.

Car si la modernité ou le progressisme consistent à accepter tout avilissement de la condition humaine au nom de l’évolution, du Bien, du marché, des opprimés ou de quelque autre mythologie, si être moderne c’est tolérer la loi de la jungle, le rapport de force, le mépris des humanités et de la civilisation au nom de l’époque, alors il nous faut être réactionnaire, au sens étymologique. Contre l’action. Contre l’action de s’adapter à un monde qui croule et qui affiche une hostilité résolue à toute forme de remède.

Il nous faut enfin et surtout être conservateur au bon sens churchillien du terme, c’est-à-dire se prononcer et militer pour la sauvegarde de ce qui peut être encore arraché au cynisme, à la morgue, au relativisme, à l’adoration de la loi du plus fort qui sont les attributs du chaos postmoderne, autre nom de la fin du Vieux Monde.

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9 octobre 2012

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