Le congrès du Parti socialiste à Poitiers, on aurait dit une assemblée générale de l’In-nocence. Et encore, je me demande si nous ne sommes pas davantage. On comprend que M. le Premier ministre ait souhaité aller voir ailleurs. Il s’est offert une petite escapade à Berlin qui pourrait bien se révéler son Fouquet’s, l’erreur de communication fatale. Il s’agissait pour lui d’aller soutenir ou plutôt supporter comme on dit (moi je ne supporte aucune équipe… ), le Barça, l’équipe de sa ville natale, Barcelone, qui disputait la Coupe d’Europe à la Juve de Turin. Entre parenthèses, depuis qu’il n’y a plus de races, on n’a jamais autant vu et entendu les gens parler, agir et penser à partir de la leur, être conditionné par elle dans toutes leurs opinions et leur moindre mouvement.
On m’objectera qu’espagnol, ce n’est pas une race. Mais bien sûr que si, espagnol c’est une race ! Non pas tant parce que le fameux Dia de la Hispanidad, si notoirement sexy, se nommait naguère encore Dia de la Raza, mais parce que race, avant que la police et la XVIIe chambre ne s’en mêlent, voulait dire à peu près tout ce qu’on voulait, ou du moins tout ce que ce mot a signifié au cours de sa longue et riche histoire : famille (ah il est bien de la même race que son grand-père, celui-là…), dynastie (les rois de la troisième race), appartenance provinciale (un Auvergnat de bonne race), nationalité (les qualités de notre race, disait encore Georges Pompidou pour parler des vertus françaises), type de personnalité (la race des faibles, la race des justes, la race des collaborateurs), distinction (elle a une race folle), etc. J’ai toujours été amusé de constater qu’il n’y avait que les racistes patentés et les antiracistes dogmatiques (deux races presque également nuisibles, entre nous…) pour confiner ce pauvre mot à une petite signification toute riquiqui et pseudo-scientifique, qui couvre à peine un centième de son sens. Ceux qui disent que les races n’existent pas sont peut-être très forts en biologie (et encore, j’ai un doute…), mais ils sont nuls en linguistique, et ne savent pas ce que c’est qu’un mot. C’est à peu près aussi malin que de dire qu’il n’y a pas de classes sociales, ou pas de mythes…
Bon, mais il me semble que je n’étais pas parti pour parler de ça… Ah, oui, Manuel Valls à Berlin, pour supporter le Barça. Et quand on commence à le lui reprocher, il donne comme excuse que c’était pour rencontrer Michel Platini. Voilà bien le genre de disculpation qui aggrave plutôt un cas, à mon avis. Rappelons que nous sommes à dix jours à peine du retentissant scandale de la Fifa, qui certes n’a rien appris à personne, mais au moins mis les cartes sur la table, pour ceux qui tenaient à ne pas voir. Et je ne suis pas sûr du tout que les grands apparatchiks qui ont fait tomber Sepp Blatter aient les mains beaucoup plus propres que les siennes, ou que celles qu’il dénonçait lui-même trois jours plus tôt. Le degré de pourriture morale et de concussion financière du football professionnel fait l’admiration et l’envie du monde du cyclisme.
Et celui du tennis, alors ? Car le lendemain de sa coûteuse berlinade le Premier ministre de la France, tout frais, enfin, assez frais, malgré un nouveau détour par Poitiers (ah, Poitiers, Poitiers — on sent bien que Charles Martel et Damien Rieu les hantent…), se montrait aux côtés de sa consœur et camarade Mme Hidalgo, maire de Paris, dans les tribunes du stade Roland-Garros. C’était peut-être pour célébrer sa propre décision, quelques jours plus tôt, de laisser dévorer par ce même stade les précieuses serres d’Auteuil, ses infortunées voisines. Avez-vous remarqué que le stade est l’unité de mesure du désastre écologique ? Quand les journalistes veulent faire comprendre combien un projet d’aéroport, une exposition universelle, une extension de zone d’activité commerciale dans les Yvelines ou de champ d’exploitation forestière volé sur les Indiens en Amazonie vont livrer de terrain à l’artificialisation, à la banlieue universelle, à la chosification du vivant, à l’interchangeabilité générale, au monde de l’homme remplaçable et autres fermes des soixante millions de veaux, ils comptent naturellement en stades de football : la surface de vingt-sept stades, de cinquante stades, d’un million de stades…
Au fond, le désastre commence à ce mot de sport, dont il est significatif qu’il n’existe pas dans notre langue, malgré ses origines françaises, paraît-il, et qu’il ait fallu l’importer. Son apparition dans l’usage moderne coïncide avec celle du sport-spectacle, autant dire de la marchandise et de l’argent, donc de la tricherie et de la corruption. Il est désolant que par une ambiguïté trompeuse, aimer le sport puisse évoquer aussi bien d’interminables soirées rôtantes affalées devant des retransmissions dont des intérêts féroces se sont assurés l’exclusivité, les déambulations gueulardes de supporters hébétés et souvent à peine moins cruels, les mondanités bien huilées de l’élite remplaciste entre les publicités de banque, les roulements à terre et les élégants bras d’honneur des joueurs victorieux, que, à mille lieues de tout cela, l’amour du grand air, de l’exercice, de l’effort physique, du travail de la volonté, de la beauté des corps et de leur bonne santé.
Moins les gouvernements auront affaire au premier type mieux ils se porteront, et nous aussi. Que ne se vouent-ils aux jeux gratuits et désintéressés, plutôt, et n’en ménagent-ils aux peuples les moyens frugaux ? Même l’équilibre des comptes y gagnerait.
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