Après le meurtre de Chahinez à Mérignac : essayer de comprendre

800px-Stop-feminicide-2

Nous connaissons tous le sort atroce de Chahinez Boutaa, cette Algérienne de 31 ans, mère de trois enfants, brûlée vive par son mari, à Mérignac, le 4 mai au soir. 39e femme assassinée en France depuis janvier. À l’instant où j’écris ces lignes, trois autres l’ont rejointe dans le martyrologe, portant ce chiffre effroyable à 42.

Si le terme « féminicide » est une appellation revendicative ancienne (fin du XIXe siècle), il nous est revenu, plus récemment popularisé, du monde anglo-saxon, dans une acception idéologisée, pour désigner le meurtre de femmes en raison de leur genre, alors qu’au sens étymologique, il devrait simplement désigner tout homicide volontaire d’une femme. Donc, selon cette définition genrée, les 42 exécutions précitées ne sont pas toutes des « féminicides » au sens strict. Mais toutes sont des meurtres par conjoint ou relation intime qui relèvent de complexités sociales ou passionnelles.

La carte de France de ces « meurtres par conjoint » est parlante. Évidemment, aucune région n’est épargnée. Trois affaires concernent les outre-mer. Logiquement, avec sept meurtres en Île-de-France (16,6 %), nous retrouvons le poids démographique écrasant de cette région. La majorité des crimes sont perpétrés dans les métropoles ou leurs communes périphériques. On pourra noter un meurtre, suivi de suicide, à Bourg-Archambault (191 habitants en 2015) dans la Vienne ; et un matricide, suivi du meurtre de l’épouse et du suicide à Arfeuille-Châtain (182 habitants en 2015) dans la Creuse. Un phénomène qui n’épargne pas la ruralité dépeuplée.

Dans cette toile géographique, peut-on discerner des profils types de passage à l’acte ? Le psychologue et criminologue Raúl Aguilar Ruiz, qui a étudié 237 condamnations pour « féminicide » survenues en Espagne, a relevé diverses altérations des facultés mentales à l’instant meurtrier, associées parfois à des traumatismes psychiques. Il en est arrivé à distinguer quatre types principaux : 1) le malade mental, psychotique, bipolaire ; 2) l’antisocial/coactif, narcissique ; 3) le normalisé/craint, dépressif, anxieux ; 4) l'antisocial/jaloux, névrotique. Une majorité des cas avérés en France, depuis janvier, peuvent s’expliquer – en partie – par ces divers dérèglements.

Il est hasardeux d’établir des statistiques à partir d’un échantillon faible. Cependant, deux profils clairs semblent émerger de la masse.

Au moins dix « féminicides » (23,8 %) concernent des personnes âgées de plus de soixante ans ; avec suicide après meurtre, souvent par arme à feu. Sans doute doit-on voir, derrière ce choix, leur impossibilité à faire face aux difficultés lourdes de la vie, liée à l’angoisse de l’isolement et aux fragilités dépressives. Une perte d’espérance de l’homme amoindri, entraînant sa compagne, parfois consentante, dans son effacement.

Dix autres meurtres (encore 23,8 % des cas) sont le fait d’héritiers d’une éducation coranique. Soit au sein de familles issues du Maghreb, soit parmi des couples mixtes ; l’homme étant de culture islamique, quand la femme ne l’est pas. Dans ces cas d’espèce, l’homme ne cherche généralement pas à se supprimer ; il élimine sa compagne, parfois avec la violence que l’on sait, au couteau, au marteau (Fatima, tuée à Lyon, ce 5 mars), etc. Aux explications criminologiques précédentes, ne peut-on avancer d’autres motifs pour comprendre des passages à l’acte qui semblent surreprésentés dans ce groupe ?

Ainsi, l’Observatoire canadien du « fémicide » relève qu’il peut être perpétré dans un « cadre culturel », prétendument « basé sur l’honneur », lorsque le comportement de la femme ou de la fille « a été vu par l'agresseur comme une honte pour la famille ». Par exemple la culture islamique, qui reste inscrite dans une réalité patriarcale du passé ? En effet, malgré le fait que nombre d’oulémas ont à cœur d’atténuer la radicalité du Coran, n'y lit-on pas « Et quant à celles dont vous craignez la désobéissance, exhortez-les, éloignez-vous d'elles dans leurs lits et frappez-les » ? Porte ouverte, peut-être, vers une effroyable dérive qui viendra parfois gonfler nos statistiques du féminicide.

Pierre Arette
Pierre Arette
DEA d'histoire à l'Université de Pau, cultivateur dans les Pyrénées atlantiques

Pour ne rien rater

Les plus lus du jour

L'intervention média

Les plus lus de la semaine

Les plus lus du mois