Ankara, officiellement 97 morts. À trois semaines d’élections législatives anticipées, un terrible attentat a visé une manifestation du Parti démocratique des peuples (HDP) de Selahattin Demirtaş. Le pouvoir s’est empressé de désigner trois coupables : les irrédentistes kurdes du PKK, les wahhabites de Daech, l’extrême gauche radicale du Front révolutionnaire de libération du peuple. Certains évoquent cependant la responsabilité de l’État profond. Didier Billion, codirecteur de l'Institut de relations internationales et stratégiques? formule l'hypothèse du rôle éventuel de "cellules clandestines cachées au sein de l'appareil d'État".

Bien que la Turquie soit candidate depuis 1987 à l’adhésion européenne, ne comptons pas trop sur la presse pour nous dire ce qui s’y passe… "À l'est et au sud-est de la Turquie, l’on assiste à des scènes de guerre civile, des affrontements très violents. Quelques petites villes ont fait sécession en prononçant leur autonomie démocratique [contre le pouvoir islamo6kémaliste de l’AKP]." À telle enseigne que ce dimanche 11 octobre - écho du 11 janvier hexagonal - aura été un jour de deuil pour toutes les communautés kurdes d’Europe qui, en France, en Allemagne, en Suisse, se sont rassemblées au cri de « Erdoğan assassin ». Réactions identiques à celles qui suivirent l'attentat de Suruç le 20 juillet dernier, lequel fit la bagatelle de 32 morts. La responsabilité de ce crime avait été alors attribuée à l’État islamique mais, dès le lendemain, des foules en colère dénonçaient la "complicité" du gouvernement avec les égorgeurs de Daech et d’Al-Nosra.

Erdoğan assassin, un slogan peut-être fondé si l’on sait que, la veille du carnage, un intime du président turc, Sedat Peker, appelait « à faire couler le sang des traîtres »[ref]À l’occasion d’un rassemblement sur les bords de la mer Noire à Rize, Sedat Peker a déclaré : « Si les citoyens se sentent en danger, si nous devons nous protéger, nous n’aurons aucune pitié, nous allons faire couler le sang à flot », cela désignant explicitement les Kurdes.[/ref]. Le lendemain, il se voyait exaucé et M. Erdoğan trouvait dans cette jonchée de cadavres l’espoir de voir se renverser une tendance électorale aujourd’hui passablement défavorable… En tout cas, Erdoğan trouva là le prétexte pour faire bombarder en Syrie les positions du PKK. Il est vrai que Jens Stoltenberg, secrétaire général de l’OTAN, venait de lui réitérer un appui inconditionnel face aux incursions russes dans l’espace aérien turc. Des Russes qui, en dévoilant par leur efficacité contre Daech les complicités des États-Unis à l’égard de leurs commensaux islamistes, font violence aux ambitions d’Erdoğan nostalgique de l’Empire ottoman autrefois maître de la vallée de l’Euphrate. Ainsi adossé à la puissance atlantique, Erdoğan se croit, pour l’heure, indispensable et, pire, se croit tout permis.

Supposer donc que, sur le front intérieur, Erdoğan mette en œuvre une "stratégie de la tension" pour faire pencher la balance électorale en sa faveur vis-à-vis d’une opposition accusée de tous les crimes n’a finalement rien d’excessif. Rappelons que l’État turc, l’un des principaux soutiens des milices takfiristes d’Irak et de Syrie, viole sans vergogne les espaces aériens de ses voisins, bombardant des camps kurdes en Irak et abattant les avions syriens au-dessus de leur propre territoire. Ne reculant devant aucune menace, Erdoğan n’a-t-il d’ailleurs pas déclaré : « Une agression contre la Turquie signifie une agression contre l’OTAN » ? Se référant ici explicitement à l’Article V du Pacte atlantique qui rend solidaire l’ensemble des pays de l’Alliance si l’un quelconque de ses membres est agressé.

M. Erdoğan, promoteur présomptif d’actes de terreur contre ses minorités nationales, est au final un homme que son imprévisibilité et sa mégalomanie rendent singulièrement dangereux pour la paix… quels que soient les efforts consentis actuellement par Moscou et Washington, bien conscients des risques majeurs de "destruction mutuelle assurée" que ferait courir tout dérapage non maîtrisé de la situation déjà excessivement chaotique du Proche-Orient.

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14 octobre 2015

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