Alexis Poulin : « Le déconfinement n’est-il pas l’occasion de rattraper tous les PV qui n’ont pas pu être mis durant le confinement ? »

alexis poulin

Nous sommes entrés dans la deuxième semaine du déconfinement. Alexis Poulin analyse pour Boulevard Voltaire les différentes mesures prises par le gouvernement concernant cette nouvelle phase de la gestion du coronavirus. Certaines de ces mesures pouvant d'ailleurs prêter à sourire...

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Le pays se déconfine, ce qui donne lieu à une spécialité française qui est la gestion administrative de ce déconfinement. Qu’avez-vous noté qui aurait pu vous faire rire si la situation n’était pas dramatique ?

J’ai noté beaucoup de choses, notamment le fait que le président de la République prenne le temps d’appeler un humoriste pour lui présenter en avant-première son plan de déconfinement des bars, des restaurants et des cafés. On aimerait aussi connaître ce plan. J’espère que Jean-Marie Bigard le fera. Il l’a d’ailleurs fait à l’antenne d’une radio. Il y a la règle des 100 km à vol d’oiseau, au-delà desquels on ne peut aller sans dérogation. Il faut remplir encore une petite fiche. Ces petites fiches nous manquaient pour sortir dans la rue...
Les écoles sont à nouveau ouvertes avec leurs traces de craies sur le sol pour faire respecter les distances de sécurité entre les enfants. Et enfin, les parcs et les jardins de Paris. Il est extrêmement difficile pour les Parisiens de voir tout cet espace qui ne peut être utilisé. Ils s’agglutinent donc sur le trottoir. J’ai vu des enfants qui jouaient sur un trottoir de l’autre côté des barrières. À un moment, il va falloir réfléchir au bon sens. Quand on demande aux gens sur la plage de ne pas s’asseoir et de rester debout, cela pose question sur le bien-fondé de ces mesures tout comme le sens unique sur les planches de Deauville. Cela permet de mettre plus de contraventions.
Personnellement, je me demande si le déconfinement n’est pas l’occasion de rattraper tous les PV qui n’ont pas pu être établis lors du confinement. On va en faire des infractions au code du déconfinement pour remplir les caisses de l’État avec des PV qui ne servent à rien.

Pour qu’il y ait une infraction au code du déconfinement, il faudrait qu’il y ait un code du déconfinement. On a l’impression que c’est assez aléatoire…

C’est un code dynamique. C’est comme ce principe de plage dynamique. Il est tout le temps en mouvement. On ne sait pas vraiment et il s’adapte. Y a-t-il un concours dans la préfectorale ? Quel préfet aura la meilleure mesure ?
Je n’aimerais pas être policier ou gendarme pour faire appliquer cette règle. Je ne l’a comprends pas moi-même. Je ne sais pas comment ils font au cas par cas pour faire appliquer cette fameuse loi. On a vu une avocate et sa cliente se faire verbaliser, alors qu’elle attendait devant le tribunal sans être en manifestation. Or, ce n’était pas un rassemblement. Ces gens attendaient seulement au même endroit. C’est vraiment ubuesque de A à Z. Cela ne fait qu’empirer avec la ligue de football qui ne reprend pas en France, alors qu’elle reprend partout ailleurs en Europe. Jean-Michel Aulas s’en est ému. Je le comprends parce que, quel que soit notre métier, on est en droit de se demander pourquoi le déconfinement se déroule de cette manière-là.

Il est peut-être trop tôt pour tirer un bilan de cette période particulière, mais n’est-il pas un peu facile de dire que l’on a peut-être agi sur certaines choses sous le coup de la panique ?

On va dire «  il ne fallait pas, c’est l’union nationale, on était en guerre », c’est de la volonté du chef de l’État qui a géré ce confinement de manière hâtive. Une semaine avant, il appelait tous les Français à aller au théâtre, comme lui le faisait avec sa femme.
Après un discours du Premier ministre un samedi soir, on a demandé aux restaurants de fermer en quatre heures, sans mesures préalables, pour une durée indéterminée. Les assureurs ne veulent pas jouer le jeu. Des procès sont en cours. Il est extrêmement compliqué de dire «  qu’aurait-on fait si on avait géré autrement ? »
Regardons ce qu’ont fait le Danemark et l’ Allemagne. Le confinement a été extrêmement parcimonieux parce que des tests massifs ont été faits. Partout où les pays ont pu garder une fluidité, il y a eu une autre approche. Les patients Covid ont pu être identifiés, mis à l’écart et testés. On a donc agi sur ce principe de clusters. En France, nous avions commencé, mais nous n’avons pas poussé la logique assez loin et nous avons préféré confiner par précaution, pour éviter d’être accusés en tant que responsables politiques, de ne pas avoir pris les bonnes mesures. Aujourd’hui, la crise économique s’ajoute à une crise sanitaire sans avoir les vraies réponses. Il y aura bien sûr des commissions d’enquête parlementaires. On peut ou non s’attendre à des conclusions qui vont exonérer les responsables politiques. Des plaintes ont aussi été déposées au pénal pour les responsables politiques. On verra si un juge s’en saisit ou non.
Les politiques commencent à s’inquiéter. Agnès Buzyn a conservé tous les mails et les échanges qu’elle a pu avoir avec le Premier ministre. On sent que cela tangue un peu en haut et qu’on va se refiler la « patate chaude » de cette gestion de crise du Covid.

Beaucoup portent plainte contre l’État pour une inaction ou une mauvaise gestion. Mais aussi pour un confinement trop brutal et trop arbitraire qui a occasionné des entorses aux libertés fondamentales.
Toutes ces libertés garanties par la Constitution ont été piétinées. Sans doute pour des raisons sanitaires, mais cela pose néanmoins question. Notre Constitution sert-elle encore à quelque chose ?

Oui, puisque le Conseil d’État s’est quand même ému de l’usage des drones. On a encore quelques façons de veiller aux droits fondamentaux. On a été l’exemple parfait. L’usage de drone a été une atteinte aux droits à la vie privée.
On s’habitue très vite aux lois d’exception, alors qu’on ne devrait pas. Aujourd’hui, on devrait se battre pour nos libertés et ne pas accepter ces amendes mises à la volée sur des règles extrêmement floues. Pourtant, on accepte parce qu’on est bien élevé et qu’on est légaliste. C’est normal, on respecte le droit et la loi. Or, aujourd’hui les instances de contre-pouvoir qui contrôlent le droit et la loi sont défaillantes. C’est le problème de la Ve . Heureusement, on a deux chambres, le Sénat, l’Assemblée nationale, le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État et bien d’autres. Aujourd’hui, les citoyens sont réduits à faire appel à la justice, pour que des enquêtes soient faites sur les responsabilités des responsables politiques.

Olivier Dussopt critiquait la malhonnêteté de certains. Il s’est fait épingler avec deux tableaux. Gérald Darmanin s‘était engagé à respecter le non-cumul de mandat. Il va néanmoins garder son poste de ministre et de maire de Tourcoing. On a l’impression que cette classe politique n’a pris aucune mesure des leçons qu’elle aurait dû tirer.

Cela révèle l’imposture de la macronie. Les promesses de campagne d’Emmanuel Macron n’ont jamais été tenues. La seule tenue est la suppression de l’ISF et celle de poursuivre une politique d’accroissement des inégalités. Le reste s’effondre. Gérald Darmanin embête Emmanuel Macron en disant qu’il veut garder ses deux mandats. Cela veut dire que tout est possible.
Olivier Dussopt, pris en flagrant délit de corruption passive, s’excuse simplement devant les caméras et ne risque rien. Rappelons aussi le cas de Richard Ferrand mis en examen et toujours au perchoir depuis plusieurs mois. Tout cela ne pose aucun problème. Le Nouveau Monde n’a rien d’un Nouveau Monde.
En revanche, les promesses d’Emmanuel Macron ont été des mensonges. Elles sont avérées.

Le monde de demain sera celui-là en pire…. Êtes-vous d’accord avec Michel Houellebecq ?

Je suis d’accord avec Michel Houellebecq, écrivain que j’apprécie énormément. En Chine, les législations écologiques qui avaient été mises en place notamment pour les voitures dans les villes sont en train d’être dé tricotées, pour qu’on puisse acheter plus de voitures et rouler davantage.
Bruno Le Maire disait lors des matinales qu’il va falloir travailler plus, consommer plus et relancer la croissance. Ce monde de demain sera un monde de la surpollution et de la surproduction. Il ne sera sans doute pas celui de la surconsommation parce que les citoyens du monde entier sont échaudés et attendent la prochaine crise.
Malheureusement, tant qu’on est enfermé dans cette logique capitaliste de la croissance pour l’emploi, on est obligé de faire de la croissance à n’importe quel prix. On va prendre cher avec un recul du PIB vraiment important pour la France, on sera donc obligé de mettre les bouchés doubles y compris dans la pollution et dans le détricotage des droits des travailleurs.,

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 03/06/2020 à 9:54.
Alexis Poulin
Alexis Poulin
Co-fondateur du média Le Monde Moderne

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