Avez-vous entendu parler de Freaky Hoody, cet enseignant qui « dérange » ? Tatoué de la tête aux pieds, et plus encore - même le blanc de ses yeux est désormais couleur d’encre -, cet instituteur de l’Essonne, prénommé dans la vraie vie Sylvain, déplore devant la caméra de « ne plus pouvoir enseigner en maternelle ». La faute à quelques parents mauvais coucheurs dont « [il] n'a pas les enfants en classe ». Car les autres, explique-t-il, ont bien compris qu’il est un bon professeur ; et d’ailleurs, rajoute-t-il, de l’avis de ses élèves, il est même « le plus cool » : las, ses inspecteurs ont envie d’être « tranquilles », et pour ne pas recevoir de plaintes, l'affectent dans le primaire, du CP au CM2. Pas chez les tout-petits.

En filigrane, on comprend la démonstration : quelques adultes avec des préjugés enquiquinent le monde et veulent écarter un bon enseignant au prétexte fallacieux qu’il n'est pas dans la norme. Et la norme, c’est mal. C’est bourgeois, c’est stigmatisant, c’est hypocrite et ce n'est pas gentil. Et, d’ailleurs, cela n’existe plus, ou plutôt, cela a été retourné comme une chaussette et renvoyé en boomerang, puisque ce sont aujourd’hui les marges qui font aujourd’hui loi et la norme d’hier qui est devenue marge : les adolescents qui n’aiment rien tant que faire partie du groupe le savent bien, la médaille de baptême autour du cou et les allures proprettes de scout versaillais font de vous un marginal, un paria, un bouc émissaire. Les censeurs implacables, les braves gens qui n’aiment pas que l’on suive une autre route qu’eux chantés par Georges Brassens, ont aujourd’hui des cheveux bleus et des piercings un peu partout.

On comprend mieux pourquoi Jean-Michel Blanquer s’est fait renvoyer dans ses buts quand il a évoqué l’idée de porter à l’école une tenue « normale » : qui es-tu, toi, avec tes allures d’homme de droite complexé au milieu des gens de gauche, comme un premier de la classe qui tente de se faire bien voir des caïds, pour dire ce qu’est la « norme » ?

Dans cette affaire, les enfants n’ont donc pas le droit d’avoir peur, et les parents de se demander si cette furieuse et radicale passion pour le tatouage ne cache pas, chez ce sympathique monsieur - car lorsqu'il s'exprime, il est plutôt sympathique -, quelque léger déséquilibre. Les yeux dans les yeux, qui confierait sa progéniture sans appréhension à une baby-sitter décorée de la sorte ?

La vérité est que l’on arrive au bout du bout de la pelote d’interdit d’interdire que l’on déroule depuis plus d’un demi-siècle : les instits sont tatoués jusqu'à faire faire des cauchemars, les élèves débraillés, les députés dépenaillés, les secrétaires d’État en tee-shirt bariolé le 14 juillet, les maires en jeans et pompes-à-Jésus sous leur écharpe devant les mariés, les curés en col roulé, les petits-enfants en baskets et les mains dans les poches à l’enterrement de pépé. Il n’y a plus guère que les employés de grands restaurants en costard-cravate, bien forcés de courber l’échine pour servir des clients mal sapés dont le compte en banque tient lieu d’éducation.

Alors Jean-Michel Blanquer, ayant compris sa boulette, a tenté l’expression tenue « républicaine ». Immense éclat de rire sur les réseaux sociaux, imaginant aussitôt les lycéennes françaises sans culotte, en bonnet phrygien et le sein à l’air telles une Marianne exemplaire et, a contrario, les écoliers belges ou anglais arborant tiare et diadème dans la cour de récréation, tenue royale oblige !

Quand on a dynamité la décence, le respect, le savoir-vivre, les mœurs et les codes communs, laissant la porte ouverte au grand n’importe quoi et aussi, in fine, à l’islamisme sur l’air imparable du puisque-maintenant-tout-est-permis-pourquoi-pas-moi, on s’accroche au mot « républicain », comme au radeau de La Méduse, et tant pis si personne n’a la moindre idée de ce que cela peut signifier…

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22 septembre 2020 à 20:30

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