16 novembre 1917 : un Tigre à la présidence du Conseil

L’idée de faire appel à Clemenceau pour prendre les rênes du pouvoir commence à prendre forme dans l’esprit de nombreux parlementaires à partir du mois de septembre 1917. Georges Bonnefous (1867-1956), député de Seine-et-Oise, est missionné par quelques parlementaires pour rencontrer Clemenceau dans son antre de la rue Franklin. Le Tigre n’est candidat à rien même s’il pense qu’il pourrait faire mieux que les autres. Ses amis lui conseillent de jouer la modération vis-à-vis de Poincaré. Martet, son secrétaire, le lui dit : "Il n’attend qu’un signe de vous pour faire appel à votre concours." Mais Clemenceau ne veut "pas faire ce signe […] Je ne le ferai pas pour cette raison que loin de rechercher le pouvoir, comme tous ces braves gens, j’en ai peur […] constatez que je suis foutu : j’ai soixante-seize ans, pourri de diabète […] Secundo, je ne suis pas très sûr qu’au point où nous en sommes, nous puissions nous tirer de là", répond-il à son collaborateur, en précisant tout de même : "Poincaré m ’offrira le pouvoir. J’accepterai. On ne peut pas refuser le pouvoir. Mais je ne l’aurai pas cherché."

Le 13 novembre, Painlevé est mis en minorité par la Chambre, ce qui constitue une première depuis le début du conflit. Il démissionne. Poincaré consulte. Il pense que nommer Clemenceau est un « gros risque ». Avec plusieurs ministres (Briand, Thomas…), il craint une insurrection de la classe ouvrière qui n’apprécie guère le Tigre. Poincaré pense même, un temps, se nommer président du Conseil. Après tout, les lois constitutionnelles de 1875 ne le lui interdisent pas. Mais au baromètre de la popularité, il est loin derrière Clemenceau. Et cette auto-nomination serait mal comprise. Il y renonce.

Le 14 novembre, Poincaré invite Clemenceau à l’Élysée, officiellement pour le consulter. Le sénateur du Var n’est pas très en forme. Le chef de l’État le trouve "engraissé […], sa surdité a augmenté. L’intelligence est intacte", rapporte Poincaré. Le lendemain, Clemenceau est de nouveau convoqué à l’Élysée pour 15 heures. "Un peu essoufflé, fort enrhumé mais plein d’allant et d’humeur", le Tigre répond à l’invitation. Clemenceau accepte de former le gouvernement en précisant : "Je ne prendrai aucune décision sans venir causer avec vous." Les deux adversaires ont conclu la paix pour en terminer avec la guerre. Si possible avec la victoire au bout… En entrant au gouvernement, Clemenceau cesse d’écrire dans son quotidien – et même toute activité journalistique – et son journal change de nom. L’Homme enchaîné redevient L’Homme libre.

Le 16 novembre, il présente son gouvernement à Poincaré. Son fidèle ami, Stephen Pichon, devient ministre des Affaires étrangères ; Georges Leygues est à la Marine ; Pams, candidat malheureux à la présidentielle de 1913, est ministre de l’Intérieur… À la Guerre, Clemenceau s’adjoint son ami Jules Jeanneney.

Le 20 novembre, il se présente devant la Chambre pour obtenir l’investiture des parlementaires. Il donne le ton : "Nous avons accepté d’être au gouvernement pour conduire la guerre avec un redoublement d’efforts en vue du meilleur rendement de toutes les énergies. Nous nous présentons devant vous dans l’unique pensée d’une guerre intégrale. Nous voudrions que la confiance dont nous vous demandons le témoignage fût un acte de confiance en vous-mêmes, un appel aux vertus historiques qui nous ont faits Français." Il annonce le maintien de la censure diplomatique et militaire pour mettre fin aux "campagnes pacifistes, [aux] trahisons, demi-trahisons". Mais il lève la censure dans le domaine politique. Il annonce des restrictions alimentaires, que la fin des combats exigera l’abnégation de tous, des sacrifices, des privations…

Mais il y croit : ces efforts seront récompensés, la victoire sera au bout. Sur les 555 députés, 483 prennent part au vote. Clemenceau recueille 418 voix contre 65. Parmi ceux qui lui refusent la confiance, les 64 députés socialistes. À 76 ans, Clemenceau, qui entame son second mandat de chef de gouvernement, prend une nouvelle stature : il est le recours, celui sur lequel reposent tous les espoirs.

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