Quelle est votre position sur l’affaire Notre-Dame-des-Landes ?

Il est compliqué de répondre en deux mots. Je suis contre le projet d’aéroport, car il s’agit encore d’un aménagement dont la seule finalité est la croissance économique au détriment du bien commun.
En effet, il faut, pour construire cet aéroport, bétonner 1.400 hectares d’espaces naturels protégés : c’est la zone humide dont les rapports des naturalistes montrent qu’elle est un énorme réservoir de biodiversité. J’ouvre, ici, une parenthèse pour ceux qui ne seraient pas calés sur le sujet, mais nous observons aujourd’hui que la biodiversité mondiale est en chute libre – sixième extinction de masse dans l’histoire du monde – et les dernières études affirment que, d’ici à une trentaine d’années, si nous continuons à ce rythme-là, nous pourrions – c’est évidemment paradoxal – observer la fin des conditions suffisantes pour que la vie humaine perdure. Cet aéroport est donc une absurdité au niveau écologique. Et je n’ai pas parlé, ici, des terres agricoles qui profitent et enrichissent cet écosystème de Notre-Dame-des-Landes : des pâturages d’une richesse exceptionnelle, des cultures… et les paysans qui vont avec, et qui n’ont vraiment pas besoin d’être dérangés plus qu’ils ne le sont en cette période de grave crise agricole.

Ce projet est également inutile car l’aéroport de Nantes est mal et sous-utilisé et pourrait être réaménagé à moindre coût par rapport à la construction d’un nouvel aéroport. Pour la petite histoire, les collectifs de pilotes et autres professionnels en matière aéronautique ont dévoilé que le dispositif visant à réduire les nuisances sonores pour les riverains nantais avait été volontairement modifié – en faisant voler les avions plus bas qu’auparavant – pour faire en sorte que les riverains se plaignent du bruit et jouent en faveur de Notre-Dame-des-Landes. Il existe des solutions pour optimiser ce qui existe déjà, qui ont toujours été ignorées par les pouvoirs publics jusqu’à présent. Espérons que le rapport des médiateurs fasse évoluer cette situation.

Ensuite, pour parler de la « Zone À Défendre » en tant que telle, il me semble que si ce projet est maintenu, alors la ZAD est légitime car elle est aujourd’hui le seul moyen efficace pour éviter le début des travaux, même si des démarches judiciaires et administratives sont toujours en cours parallèlement à la lutte sur place.

Si le projet est abandonné – ce qui n’aura été possible que grâce à l’existence de la ZAD, il faut le rappeler -, alors la question de la légitimité de la ZAD se pose de manière complexe. Les différentes composantes de la lutte assument depuis le départ un combat plus large que la question de l’aéroport : contre le capitalisme et l’oppression libérale, en résumant. Or, c’est un véritable système qui s’est organisé sur place, d’autant plus complexe qu’il ne fonctionne pas de manière pyramidale mais sur un mode anarchique[ref]Non pas sans règles mais sans chef.[/ref], où chacun a droit à la parole et où rien n’est décidé sans consensus – par un système de commissions et d’assemblées générales. Où des personnes très différentes se côtoient et travaillent ensemble, chacune selon ses capacités, ses compétences et ses envies. Où une certaine forme d’économie parallèle s’est mise en place. Où une vraie solidarité de proximité existe. Les exemples sont nombreux. Quoi que l’on en pense, si ce fonctionnement n’est pas généralisable tel quel, il fonctionne tant bien que mal et de mieux en mieux sur la ZAD depuis presque dix ans.

Dès lors, l’expérience menée à Notre-Dame-des-Landes est passionnante et mérite d’être poursuivie. Sans que je sache du tout comment cela peut être négocié avec les autorités. Côté opposants, la suite a été envisagée et formalisée avec le fameux « texte des 6 points », que vous pouvez retrouver sur le site Internet de la ZAD.

Ne craignez-vous pas que la ZAD ait confisqué le débat en le rendant binaire (légalistes contre anarchistes) ?

Est-ce la ZAD qui rend le débat binaire ? Ou bien ceux qui aimeraient qu’elle n’existe pas pour, justement, éviter tout débat ?
Il me semble, au contraire, que l’existence de l’opposition au projet rend le débat intéressant, et il est loin d’être binaire pour quiconque a l’honnêteté de s’y intéresser de près. Il existe, bien sûr, des deux côtés, ce qu’on peut appeler en langage châtié des « personnes manquant quelque peu de finesse ». Pour certains, il est difficile de garder ce langage : je pense, par exemple, à notre bon journal pseudo-conservateur et vrai libéral, Valeurs actuelles, qui nous pond régulièrement des articles grossièrement mensongers – au moins par omission, si on leur laisse le bénéfice du doute, ce que je ne fais plus depuis longtemps – sur les « djihadistes verts » de Notre-Dame-des-Landes et leurs réserves d’armes de guerre. Bien sûr, ceux qui, de l’autre côté, assurent que les zadistes sont exclusivement des Bisounours déguisés en clowns sont aussi malhonnêtes – à la différence qu’eux, personne ne les croit.

Alors, il faut être honnête, il y a, comme partout ailleurs, des dérapages à Notre-Dame-des-Landes. Les Black Blocs existent bien, et sont là dès que l’occasion de taper du flic existe. Mais réduire l’opposition à l’aéroport à ces quelques dizaines de fous furieux, qui ne sont présents que lors des affrontements mais ne vivent et ne travaillent pas sur place, est volontairement mensonger : rien de nouveau sous le soleil, les méthodes du pouvoir médiatique ne changent pas.

Il y a bien eu, à certains moments, des squatteurs qui abusaient des biens des riverains. Mais ces personnes ont été remises à leur place depuis plusieurs années par l’organisation de la ZAD ; la plupart ont même été expulsées. Mai, bien sûr, les médias se repaissent de ce genre d’informations et les généralisent sans aucun remords.
Quant à la rumeur des pièges et des stocks d’armes présents sur la zone, il s’agit d’un mensonge flagrant : il y a, sur place, une interdiction formelle, confirmée par l’ensemble des composantes de la lutte, de se servir et même de posséder des armes à feu. Il est évidemment possible que quelques-uns passent outre cette règle, ou qu’un ou deux paysans aient dans leurs salons un vieux fusil de chasse, mais il est profondément malhonnête d’en faire une généralité.
Bref, si vous voulez que le débat ne soit pas binaire, renseignez-vous pour de vrai.

L’installation de cet aéroport a été validée par référendum. L’écologie supplanterait-elle la démocratie ?

C’est une excellente question, à laquelle je répondrai d’abord par une autre question, aussi générale que la vôtre : « La démocratie est-elle supérieure au bien commun ? » Ou, pour la poser autrement : « La majorité a-t-elle forcément raison ? »
Pour répondre un peu plus concrètement, je donnerai deux réponses brèves.
La première, c’est qu’il ne s’agissait pas d’un référendum mais d’une consultation citoyenne qui, comme son nom l’indique, n’était que consultative. J’ajoute, au passage, que les résultats ont été très serrés, et majoritairement opposés au projet dans les deux zones concernées, à savoir Nantes et les villages aux alentours de la ZAD – alors même qu’une grosse partie des zadistes ne vote pas.
La deuxième, c’est que cette consultation était une parodie de démocratie, pour plusieurs raisons : un périmètre biaisé – seul le département de la Loire-Atlantique pouvait voter alors que les territoires concernés sont bien plus larges[ref]Voir l’interview de Philippe de Villiers, bien que je ne le suive pas à propos de l’expulsion de la ZAD.[/ref] -, une question malhonnête – on parle de transfert alors que Nantes Atlantique resterait en service pour le commerce - et des moyens attribués aux deux parties complètement déséquilibrés.
Il est étonnant que les plus grands défenseurs de la démocratie la pervertissent autant par ailleurs. On serait presque tenté de croire que l’on nous ment !

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28 décembre 2017 à 19:46

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