Au-delà des bavardages stériles des commentateurs politiques, une seule question se pose : le vote des Français lors du premier tour des élections législatives de 2017 a-t-il été intelligent ou l'un des plus stupides de notre histoire ? Un seul argument plaide, hélas, en faveur de l'intelligence : une majorité d'électeurs, suivant la logique de la Ve République, a offert au Président élu une majorité à l'Assemblée nationale pour lui permettre de mener sa politique. En revanche, les raisons de penser que la démocratie française a connu un véritable trou d'air, hier, sont nombreuses.

D'abord, s'il s'agissait d'un choix enthousiaste pour un homme et un projet, alors l'intention du fondateur de nos institutions serait sans doute respectée. Mais il n'en est rien. Un candidat peu connu, surgi tardivement, muni plus tardivement encore d'un programme flou, a été élu, en premier lieu grâce à une machination médiatique et judiciaire contre celui qui représentait une alternance claire, et ensuite face à Marine Le Pen, et avec une participation faible pour un second tour d'élection présidentielle. Dans les deux cas, le vote a moins consisté dans un choix que dans un rejet. Hier, les électeurs ont été nombreux à s'abstenir, comme s'ils se désintéressaient du sujet, et ceux qui se sont exprimés ont surtout sanctionné les partis qui jusqu'à présent organisaient le débat démocratique. Autrement dit, la volonté de changement l'a largement emporté sur la perception du but poursuivi à travers celui-ci. Donner à un homme jeune, qu'aucune action insigne au service de la France n'a illustré, de pareils pouvoirs relève d'une désinvolture criminelle. Lui permettre de gouverner avec une nuée d'amateurs ignorants du fonctionnement de nos institutions accroît le sentiment d'une légèreté inouïe du corps électoral. Que penser, enfin, de l'irresponsabilité des citoyens qui ont laissé faire, sont allés profiter du beau temps sans trop savoir ce que ce caprice d'un jour allait leur faire subir, sur le plan fiscal notamment, pendant cinq ans. Le raz-de-marée du parti unique fondé sur la pensée unique dont le Président est un adepte et la fuite des électeurs sont des signes inquiétants pour une démocratie en danger.

Le triomphe d'En Marche ! est, par ailleurs, une redoutable illusion. Loin de bâtir l'avenir avec des matériaux nouveaux, il inaugure une période d'incertitudes et de troubles dans un champ de ruines abandonné par les partis en capilotade. La chute du Parti socialiste est une punition méritée et son anéantissement serait une merveilleuse nouvelle si beaucoup de ses membres ne s'étaient fardés et reconvertis en "marcheurs". La défaite cuisante des "Républicains" est moins justifiée. Ils représentaient l'alternance légitime dans une démocratie en bonne santé. Mais pour avoir été membre et élu de ce parti, je sais à quel point il est vérolé et n'est plus, depuis longtemps, qu'une officine de placement électoral qui a abandonné ses valeurs au profit des modes et des calculs. La trahison en faveur de Macron avant ou après l'élection présidentielle a découragé nombre de sympathisants. Les atermoiements du parti sur la ligne à suivre ont achevé de décimer les rangs. Il est difficile de voter pour des élus dont on se demande s'ils seront dans la majorité ou dans l'opposition présidentielle. Enfin, ce parti paye aujourd'hui son obstination à refuser l'alliance à droite. Entre le soi-disant front républicain et le plafond de verre de la stigmatisation, le Front national mobilise des électeurs qui votent ou s'abstiennent, par lassitude, lesquels manquent cruellement pour qu'une véritable politique de droite soit menée dans le pays.

Enfin, le détail des règles du scrutin est ignoré par les électeurs et cette ignorance accentue leur aveuglement. En s'abstenant massivement, ils ont favorisé l'élimination de beaucoup de candidats dont le score est inférieur au taux requis pour participer au second tour. C'est un risque, notamment, pour le Front national qui pourrait avoir moins d'élus que le PS ou La France insoumise, tout en ayant remporté plus de suffrages. De plus, la fin du cumul des mandats a amené beaucoup d'élus de poids et d'expérience à se retirer. Leur retrait a favorisé le vote pour l'étiquette anonyme. Cela a réduit la résistance à la vague et obscurci le jugement des électeurs.

Jamais, sans doute, une élection n'aura donné lieu à des résultats aussi clairs fondés sur l'épais brouillard dans lequel on a plongé les citoyens.

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12 juin 2017 à 21:07

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