Sombre 31 janvier pour Tariq Ramadam, l’un des prédicateurs musulmans les plus connus de France, qui se retrouve en garde à vue et sous le coup de deux accusations de viol. Il y a, pour lui comme pour les autres, présomption d’innocence, certes. Mais il n’empêche que le mal est fait et que les dégâts sont d’ores et déjà irrémédiables.

Dans un semblable registre, le télévangéliste américain Jimmy Swaggart a connu pareille mésaventure en 1988 et 1991, pris sur le fait en compagnie d’une prostituée, ce qui fait toujours un peu désordre pour un leader de la "moral majority"… Pareillement, Tariq Ramadam n’avait pas de mots assez durs pour flétrir l’avachissement des mœurs. Les Tartuffe ne connaissent ni religions ni frontières.

Qu’il ait violé ou non les dames en question importe, finalement, peu : il les a fait monter dans sa chambre d’hôtel alors qu’il est un homme marié, ce qui suffit à le disqualifier à jamais aux yeux de ses ouailles, opinion prédominante sur les forums de discussion des sites musulmans de référence, oumma et saphirnews.

Tariq Ramadam carbonisé, donc. Plus sûrement qu’un Harvey Weinstein qui, lui au moins, ne s’est jamais fait passer pour parangon de vertu. Après, toujours la même question : son entourage était-il au courant ? Un membre de l’UOIF nous confie, sous couvert d’anonymat : "Oui, certaines personnes savaient…" Savaient quoi, exactement ? "Des bruits persistants couraient sur son goût pour les jeunes étudiantes. Mais son aura était telle qu’il se considérait comme intouchable et que personne n’osait rompre la loi du silence." Classique.

"Intouchable", mais également pas loin d’être irremplaçable ; sur les plateaux de télévision, tout au moins. En effet, qui d’autre que lui pour représenter des millions de Français musulmans ? Tareq Oubrou, l’imam de Bordeaux, est d’une envergure intellectuelle autrement supérieure, mais rechigne à être médiatisé plus que ça. Hassen Chalghoumi aimerait bien creuser son trou, mais sa trop grande proximité d’avec le CRIF et ses nombreux voyages en Israël font de sa personne un objet de moquerie, quand ce n’est pas de franche détestation de la part de ses brebis. Faute de concurrents, Tariq Ramadam était donc l’interlocuteur incontournable. Jusqu’à aujourd’hui.

De plus, s’il avait un peu triché sur ses diplômes – guère plus et plutôt moins, soyons justes, que le rabbin Gilles Bernheim –, son discours était relativement fédérateur, assurant que "l’on peut être tout à la fois pleinement musulman et occidental et que, au-delà de nos différences apparentes, nous partageons beaucoup de valeurs à partir desquelles le “vivre ensemble” est possible dans nos sociétés pluralistes, multiculturelles, où coexistent plusieurs religions". Assez logiquement, une majorité de fidèles approuvait et la presque totalité de la classe politique s’en contentait.

Certains lui reprochaient une fibre républicaine de surface. Pourtant, tel que le note l’essayiste Paul-François Paoli dans Le Figaro de ce mercredi dernier : "Ce ne sont pas les musulmans qu’il faut accabler et qui sont sûrement las d’être l’enjeu d’une permanente controverse. Pourquoi leur faire grief de ne pas s’acculturer à un pays qui ne sait plus se décliner autrement que sur le mode des “valeurs républicaines”, notion floue dont n’usaient ni de Gaulle, ni Pompidou, ni Giscard ?"

Cette faille structurelle, Tariq Ramadan l’avait bien perçue, lorsque répondant à un Philippe de Villiers lui reprochant de faire passer le Coran avant les lois de la République : "Et vous, Monsieur Villiers, quelle est la parole la plus importante à vos yeux, celle de Jésus-Christ ou celle de Jacques Chirac ?"

En attendant, Tariq Ramadam suit les traces de son père, lui aussi imam ayant jadis exercé ses talents en Suisse, et obligé de prendre une retraite anticipée pour cause de liens trop étroits avec la CIA et de vie extraconjugale un brin mouvementée. Comme quoi il est la fois possible de tromper sa femme tout en respectant certaines valeurs familiales.

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01 février 2018 à 21:02

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