Le ministre de la Santé, madame Buzyn, doit prochainement recevoir les représentants des internes et étudiants en médecine, après que l’intersyndicale nationale des internes (ISNI) a dénoncé, dans une lettre ouverte, les conditions de travail et la souffrance des soignants qui débouchent trop souvent sur des suicides. Le dernier en date, celui d’une interne de 26 ans de l’hôpital Cochin, a fait déborder le vase.

Ce sujet est fréquemment abordé depuis plusieurs mois dans la presse professionnelle, par des articles faisant état de la déprime et du désarroi de nos carabins face aux difficultés rencontrées au cours de leurs études et de leur pratique hospitalière.

Le ministre semble vouloir prendre en charge ce problème, et suivra sans doute les recommandations de l’ISNI : principalement favoriser l’accès à la médecine du travail et améliorer les conditions d’exercice.

L’amélioration des conditions de travail permettrait de s’attaquer à une des causes, mais si ces mesures se résument à favoriser l’accès des carabins à la médecine du travail, elles risquent d'être aussi efficaces qu’un cautère sur une jambe de bois.

L’hôpital est devenu une usine à soins, où l’on a introduit (depuis quelques années, déjà) des logiques de gestion identiques à celles de n’importe quelle entreprise, sans tenir compte du fait que traiter la souffrance humaine se manage de manière différente que la fabrication d’automobiles ou de tôles ondulées. Les malades n’en souffrent pas trop encore, mais le personnel, si.

Les médecins font partie des professions ayant les taux de suicide les plus élevés ; la proximité quotidienne avec la mort favorise peut-être ce passage à l’acte, chez des individus fragilisés par des conditions de travail qui seraient difficilement acceptables dans tout autre secteur professionnel.

Les conditions de travail des internes ont toujours été difficiles : gardes épuisantes, souvent sans temps de repos, durée hebdomadaire du travail bien au-delà des 40 heures, etc. Et tous les médecins de ma génération ont aussi connu ces grands moments de solitude face à la douleur et à la mort, mais nous avions une échappatoire : l’internat, où régnait une saine ambiance macho-paillarde qui permettait de « décompresser », mais à lire certains articles, et en écoutant mes jeunes confrères, j’ai l’impression que ces ambiances d’outrances en tout genre sont devenues beaucoup plus soft et ne permettent plus de se détacher du traumatisme professionnel.

L’hyper-sélection des carabins actuels, qui peut leur laisser croire qu’ils sont aptes à tout gérer puisqu’ils sont les meilleurs, ne peut que les entraîner vers de sérieuses déconvenues lorsqu’ils se retrouvent face aux problèmes de la souffrance humaine qui ne peut se mettre en équation.

Il faudra, bien sur, que le ministère prenne des mesures pour améliorer les conditions de travail des internes, mais cela restera sans effet tant qu’on préférera favoriser la sélection des étudiants sur leur capacité à répondre à des QCM, sans se préoccuper de leur motivation pour devenir médecin. Un an de stage infirmier en première année d’études serait bien préférable à ce concours qui ne sélectionne que du savoir.

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12 février 2018 à 15:19

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