Soixante ans après les indépendances, certaines vérités sur l’Afrique sont toujours indicibles !

Je vais sans aucun doute me faire incendier en écrivant ce qui suit, mais tant pis, j’en prends le risque – après tout, avoir une parole libre est la philosophie de Boulevard Voltaire, celle qui l’a porté sur les fonts baptismaux.

Pour commencer, depuis dix ans (oui, déjà !) que Nicolas Sarkozy a prononcé devant les étudiants de l'université Cheikh-Anta-Diop son désormais fameux "Discours de Dakar", celui-ci est devenu le repoussoir absolu en matière de politique franco-africaine. Je n’ai jamais caché mon désarroi et souvent mon hostilité face à ce Président en survoltage perpétuel, aussi je me sens libre de dire qu’en l’occurrence, ce discours ne me semblait pas porteur de tout ce qu’on lui a reproché. Ainsi, dire que "l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire" - référence ici à Aimé Césaire - est une vérité qui m’apparaissait davantage comme un encouragement à saisir sa destinée que comme l’expression de l’odieux mépris raciste qu’on a prétendu y voir.

Il est des vérités sur l’Afrique – et Dieu sait qu’elle a mille visages – qui, soixante ans bientôt après les indépendances, sont encore et toujours indicibles. Haro, donc, sur Nicolas Sarkozy qui tenta hier l’exercice, et haro aujourd’hui sur Emmanuel Macron qui a voulu, lui aussi, s’adonner – si peu – au jeu de la vérité.

Aux étudiants de Ouagadougou, le Président français a déclaré : "Je suis, comme vous, d'une génération qui n'a jamais connu l'Afrique comme un continent colonisé, d’une génération qui ne vient pas dire à l’Afrique ce qu’elle doit faire." J’espère qu’il le pense, et j’aimerais qu’il soit payé de retour. Notre histoire commune – celle des continents africain et européen – est pourrie. Pourrie par une Histoire que l’inculture du temps rend incompréhensible, pourrie par la repentance institutionnelle qui en est l’héritage, pourrie par les dépendances qu’elle engendre. Pourrie parce que la victimisation perpétuelle des peuples colonisés est le pire frein à leur autonomie morale et leur essor économique.

Quand Macron qualifie la situation faite aux migrants en Libye de "crime contre l’humanité", on l’applaudit quand même mais on se garde de relever son interpellation aux jeunes étudiants burkinabè, leur disant que c’était à eux, en premier, de régler le problème. Car la traite négrière n’est pas le fait des "Blancs" mais, comme c’est le cas depuis des siècles, elle est avant tout une exploitation interne au continent noir. Et les atrocités des passeurs libyens ne font que perpétuer en cela une "tradition" séculaire.

Dans la dernière livraison du Point, évoquant l’indignation internationale devant ces crimes, Pascal Bruckner rappelle ainsi le livre de Tidiane N’Diaye (dont c’est peu dire qu’il n’a pas défrayé la chronique), Le Génocide voilé, paru en 2008 chez Gallimard. L’auteur y écrivait alors : "La traite des Noirs par le monde arabo-musulman du VIIe au XXe siècle peut s’assimiler à un génocide : on estime qu’elle fit près de 17 millions de victimes tuées ou castrées." La quatrième de couverture du livre est aussi explicite : "Les Arabes ont razzié l'Afrique subsaharienne pendant treize siècles sans interruption. La plupart des millions d'hommes qu'ils ont déportés ont disparu du fait des traitements inhumains." Tidiane N’Diaye est un chercheur franco-sénégalais. Il est donc autorisé à dire cette vérité. Pour avoir dit et écrit la même chose, Olivier Pétré-Grenouilleau, grand spécialiste de l’esclavage, fut en 2005 l’objet d’une scandaleuse cabale. C’est cela, le racisme !

Les bien-pensants, les belles âmes, tout particulièrement celles de la gauche tiers-mondiste à la Mélenchon, tiennent toujours le haut du pavé médiatique et imposent à l’opinion leur vision à la fois contemporaine et moralisante des rapports entre la France (l’Europe) et l’Afrique. S’y ajoute celle d’un Front national ou assimilés qui cherchent avant tout à s’opposer. Pas sûr que l’Afrique y gagne…

Marie Delarue
Marie Delarue
Journaliste à BV, artiste

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