« Se dire “conservateur” ressemble à une provocation. Ce n’est pas pour me déplaire. »

Vous nous parliez d’un « printemps des droites ». Et, en même temps, vous plaidez pour un grand mouvement conservateur. Au fond, il s’agit de la même chose.

En effet, il me semble que le renouveau de la droite, son réarmement intellectuel, son unité aussi passent par une structure – difficile, aujourd’hui, d’en préciser la forme, les contours - qui puisse regrouper tous ceux qui se retrouvent dans les valeurs « conservatrices ». Je sais, le mot n’est pas très glamour. Il n’a jamais réussi à s’acclimater dans notre pays. Il sonne mal aux oreilles du petit monde médiatico-politique. Il est tout ce qu’Emmanuel Macron dit vouloir combattre. Il est, dans cette République en marche, l’opposé exact du « progressisme ». S’en revendiquer vous ringardise à leurs yeux. Et pourtant, c’est lui qui incarne le mieux ce que nous voulons : faire le tri, conserver ce qui doit l’être mais aussi changer ce qui n’est plus supportable. Au fond, se dire « conservateur » ressemble à une provocation. Ce n’est pas pour me déplaire.

Ceci dit, vous faites quoi ?

Nous avons commencé à imaginer ce que veut dire concrètement être conservateur. En passant au crible les différentes facettes de la vie sociale – de l’éducation à la famille, de l’économie à la culture – pour déterminer ce que serait notre politique si, demain, nous devions accéder aux manettes de l’État. En évitant de dresser un catalogue de revendications dont on sait pertinemment qu’elles sont irréalistes d’un point de vue économique ou tout simplement démagogiques. Reste maintenant à franchir le pas, à se lancer dans la construction de ce grand mouvement. Est-ce le moment ? Faut-il attendre le congrès du Front national ? En avons-nous les forces ? Ne risque-t-on pas de ne bâtir qu’une nouvelle petite chapelle ? Y a-t-il vraiment un espace politique entre le FN et Les Républicains ? Ou, au contraire, devons-nous nous situer en dehors du champ politique traditionnel ? Les questions ne manquent pas…

Vous comptez donc établir un véritable programme de gouvernement ?

Non, ce n’est pas d’actualité. Il s’agit plutôt d’établir des principes, de définir une méthode et, surtout, de ne pas se contenter de grands mots. Si tout le monde ou presque est d’accord, par exemple, pour dire qu’il faudrait faire de la politique différemment, qu’est-ce qu’on entend par là ? Comment ne pas en rester à de simples incantations ? Comment se différencier de tous ceux qui affirment que les partis politiques appartiennent définitivement au passé mais ne nous disent rien de ce qu’il faudrait entreprendre pour convaincre nos concitoyens que nous ne sommes pas là pour nous servir mais pour les servir ? La formule ressemble, je sais, à une promesse d’estrade de meeting. Mais comment en faire une réalité ? C’est à ce prix que nous serons crédibles.

Et vous avez une réponse ?

Des pistes, oui. Feuilletant un des derniers opuscules de la lettre hebdomadaire de Slobodan Despot, Antipresse, je découvrais, sous la plume d’Éric Werner, la recension d’un livre de Rod Dreher, Comment être chrétien dans un monde qui ne l’est plus, sous-titré Le pari bénédictin. Il y est beaucoup question de saint Benoît et du VIe siècle. Mais pas que de cela. L’auteur de ce livre s’interroge également sur ce que chacun peut faire – ici et maintenant, disaient les socialistes avant les désillusions de l’ère mitterrandienne – pour mettre ses idées en pratique, pour ne pas se contenter de pleurer sur un monde qui est ce qu’il est.

Et alors, que faire ?

Construire une "cité parallèle", pour reprendre l’expression des dissidents tchèques des années 60 et 70. En clair, si nous voulons faire de la politique différemment – sans en rester au stade du slogan –, il nous faudrait non seulement commencer par le bas, dans la France d’en bas, mais imaginer une vie d’ores et déjà différente. Et les idées ne manquent pas, dont quelques-unes sont énoncées dans ce livre. "Résister au rouleau compresseur consumériste, numérique, techniciste", nous propose Rod Dreher. Et comment ? En commençant par se couper de la culture dominante. En lançant ou en participant à un média alternatif, en s’investissant dans l’aide à nos aînés – souvent plus difficile que d’envoyer un chèque pour les enfants du Mali -, en créant ou en aidant une école hors contrat, en plantant un jardin ou en achetant sur un marché local, c’est-à-dire en privilégiant l’économie de proximité…

Un peu comme l’installation de communautés dans les Cévennes aux lendemains de Mai 68…

Vous avez tort de vous moquer. Prêcher par l’exemple me semble encore la meilleure manière de convaincre ceux qui sont aujourd’hui désabusés, ne croient plus à rien ni à personne. L’engagement politique ne se résume pas à des idées. C’est aussi, ce devrait être également des choix du quotidien, une façon de se comporter. Pour reprendre une phrase usée à force d’avoir été rabâchée : mettre en concordance sa vie et ses idées. C’est pourtant un beau programme. Et une réponse à la question que nous nous posions précédemment : comment faire de la politique différemment ?

Cela suffira-t-il à sortir la droite de l’ornière où elle se trouve ?

Bien sûr que non ! Mais, encore une fois, il me semble que nous devons donner l’exemple et, du coup, garder un lien fort avec le quotidien de chacun, qui ne se nourrit pas que de concepts… La première mesure que j’ai prise, arrivant à la tête de la municipalité de Béziers, c’est de baisser, de façon conséquente, mes indemnités et celles de tous les élus. Par démagogie, se moqueront certains. Pour montrer l’exemple, justement, leur ai-je répondu. J’en suis persuadé, ce qui menace en premier lieu nos hommes et nos femmes politiques – à mettre dans le même sac –, c’est la perte de contact avec la réalité. Quand un député vous raconte que, de retour dans sa circonscription, il a pu prendre le pouls de ses électeurs, il se moque du monde : il a, au mieux, croisé quatre citoyens dans la rue, en bas, près de chez lui ou, au pire, discuté avec les militants de son parti ou les élus locaux du coin. Autant dire qu’il a du monde la même proximité qu’un leader politique en a avec le peuple s’il se contente de faire des selfies à la sortie d’un meeting… Dans ce domaine aussi, il nous faudra réfléchir à ce que veut dire une démocratie renouvelée. Sans nous gargariser d’expressions toutes faites et vides de sens. Du genre « démocratie participative », « conseil citoyen »… C’est à cette tâche que nous devons nous atteler.

Robert Ménard
Robert Ménard
Maire de Béziers, ancien journaliste, fondateur de Reporters sans frontières et de Boulevard Voltaire

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