« Le passé est comme une lampe placée à l'entrée de l'avenir, pour dissiper une partie des ténèbres qui le couvrent », écrivait Lamennais. Il semblerait, hélas, que notre époque préfère souvent les ténèbres à la lumière.

Après la récente destruction du château de Lagny-le-Sec (Oise), qui a beaucoup choqué, voici qu’à Évreux (Eure), dans le quartier de Navarre, un "élégant et fier édifice, propriété d’une association catholique, sera démoli sans état d'âme et apparemment, sans raison. Certes la restauration semble être fort coûteuse, mais il n’y a aucune urgence à vouloir le détruire. Pas d’état de péril imminent et aucun projet immobilier prévu, puisque le terrain est situé en zone inondable et que de ce fait, aucun permis de construire ne sera accordé", peut-on lire dans une pétition lancée par Alexandra Sobczak, présidente d’Urgences patrimoine, association ayant pour vocation de valoriser le patrimoine en péril.

Pourtant, une ville comme Évreux connaît le prix exorbitant des destructions – les bombardements de la Seconde Guerre mondiale y ont fait des ravages – et devrait, au contraire, protéger ce qui lui reste de patrimoine bâti des siècles passés ; elle qui peut s’enorgueillir de sa cathédrale Notre-Dame, l’une des plus élégantes constructions gothiques de France, ainsi que de son riche musée d'Art-Histoire-Archéologie, installé dans un ancien palais épiscopal datant du XVe siècle.

Le préfet de l’Eure, Thierry Coudert, "s’est déjà ému de cette destruction et […] avec l’expertise de professionnels du patrimoine, il a lui-même dénoncé cette démolition". Mais, comme le précise la pétition, "ce château est une propriété privée. Le seul et unique moyen de le sauver est une demande de protection d'urgence." Car il n’est ni classé ni inscrit à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques.

À l’instar de son lointain prédécesseur – Prosper Mérimée, jadis très salutaire inspecteur général des monuments historiques qui empêcha la destruction de nombreux joyaux de notre patrimoine –, Stéphane Bern, récemment nommé « Monsieur Patrimoine », saura-t-il mettre un terme à cette absurdité qui transforme le patrimoine national en un gigantesque palimpseste, pour y réécrire une histoire froide, tels ces innombrables délires architecturaux qui fleurissent çà et là et dont les immenses et effrayantes cités de béton ne sont pas des moindres ? La modernité n’exclut ni l’élégance ni la mémoire, et cette volonté destructrice ne mène à rien sinon à effacer notre identité. La balle est dans le camp des décideurs, à présent. Et pour le petit château de Navarre du XIXe siècle, il ne reste plus qu’à "attendre et espérer", comme disait le comte de Monte-Cristo.

Enfin, que la ville d’Évreux se garde bien de ce goût de détruire qui anima autrefois l’un de ses enfants, Louis Marie Turreau de Lignières, qui, à la tête de ses colonnes infernales, s’en alla massacrer la Vendée !

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29 septembre 2017 à 12:49

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