Il est de bon ton - allumez votre poste sur France Info, vous comprendrez - d’imputer les violences et la casse de samedi « à l’utra-droite, à l’ultra-gauche et à des gilets jaunes radicalisés ». Tout le monde est renvoyé dos à dos, un partout, la balle au centre, c’est bien pratique.

Sauf qu’il y a les faits.

François de Sales est le patron des journalistes, mais un autre saint bien connu pour son scepticisme et ses pieds sur terre pourrait aussi faire l’affaire. Saint Thomas : "Je crois ce que je vois."

Et qu’ai-je vu, samedi, sur les Champs-Élysées ? Un mélange hétéroclite de paysans de l’Aveyron ou d'employés bretons - sans doute capables, poussés à bout, de violentes colères comme souvent les taiseux - et de casseurs professionnels suréquipés, arborant (au choix ou en même temps) dreadlocks, capuches noires rabattues ou gilet jaune frappé du "A" anarchiste. Donc, soit Bob Marley est devenu tendance à « l’utra-droite », soit il n’y avait, là où je me trouvais, que des groupuscules de l’autre bout de l’échiquier. Peut-être, après tout, l’ultra-droite s’était-elle donné rendez-vous ailleurs ? Admettons.

Mais il y a l’Arc de Triomphe.

À l’Arc de Triomphe aussi, nous explique-t-on très sérieusement, il faut incriminer TOUS les ultras. Eu égard à leur antimilitarisme viscéral, on penserait plutôt à la gauche ? Non, on aurait trouvé des preuves de coresponsabilité : ces ennemis jurés, qui ne peuvent se croiser à une vente Fred Perry sans qu’il advienne un drame, auraient tagué tranquillement de concert, côte à côte : sur l’Arc de Triomphe, on a trouvé le « A » de "anarchie" entouré d’un cercle, « nik l’État », « classe contre classe », « pas de guerre entre les peuples et pas de paix entre les classes », « gilets jaunes antifas », « vive les enfants de Cayenne » ou encore « justice pour Adama », toutes luttes dont on connaît la coloration politique.

Selon le site du Point, pourtant, "l’ultra-droite est parvenue à signaler sa présence sur le monument : « L'Ultra-droite perdra Manu », ont relevé les policiers"* (sic). Très forts, les policiers. Mais peut-être un peu daltoniens ? À moins que ce ne soit au journaliste du Point qu’il faille offrir des lunettes pour Noël ? Car la photo de l’Arc de Triomphe tagué parle d’elle-même : il est écrit, en haut, "L’ultra-droite Perdra" - encre noire et écriture scripte - puis, en bas, "MANU MA TUER", en encre rouge et en majuscules, ce qui laisse supposer à tout observateur, même frais émoulu du cours préparatoire, qu’il s’agit de deux tags différents, bien sûr, et non de la même phrase. Si l'on s'en tient à la thèse du Point, pourtant, notre tagueur d’ultra-droite se serait interrompu au milieu de sa phrase pour changer de couleur et de style d’écriture, et aurait ensuite écrit un « MA TUER » sans queue ni tête, puisqu’il n’y a plus de sujet, "MANU" fonctionnant avec la phrase du haut…

Mais, me direz-vous, pourquoi ratiociner sur ce sujet ?

Parce que la mise à sac de l’Arc de Triomphe est une action hautement symbolique qui a profondément indigné et sur laquelle il importe de ne pas raconter n’importe quoi.

Parce qu’incriminer tout le monde, c’est n'incriminer personne. Surtout pas ces groupuscules d’extrême-gauche au modus operandi bien huilé, on les avait vus à l’œuvre dans les universités, à l’endroit desquels les gouvernements successifs, de gauche par sympathie, de droite par trouillopathie - pathologie autrement nommée syndrome Malik Oussekine - ont fait preuve d’une incommensurable indulgence, et qui aujourd’hui infiltrent et radicalisent les gilets jaunes.

Enfin parce que quiconque a couvert ces manifs le sait : les journalistes accusés de décrire non pas ce qu’il voient mais ce qu’ils aimeraient voir sont, pour les gilets jaunes, une profession démonétisée. Leur faire retrouver crédit passe par une implacable quête de vérité.

C’est bien l’ultra-gauche qui a mis à sac, sinon la totalité du quartier, au moins l’Arc de Triomphe. Et elle l’a signé.

* In "EXCLUSIF. Ce que dit le rapport sur le saccage de l'Arc de Triomphe" (3/12/18)

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03 décembre 2018 à 18:58

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