Cliquez pour acheter

Influence grandissante des réseaux sociaux oblige, tout n’est plus qu’un jeu. Mais dans cette cour de récréation aux dimensions planétaires, celui du « C'est celui qui dit qui l'est » n’en est plus vraiment un. On n’y tue plus pour de faux, mais quasiment pour de vrai. Et ces grands enfants que sont devenus les adultes l’apprennent aujourd’hui à leurs dépens.

Sandra Muller, par exemple, journaliste française exerçant ses talents aux États-Unis, est la première à avoir eu l’initiative du fameux #balancetonporc. Éric Brion, lui aussi journaliste et ancien directeur de la chaîne hippique Equidia, est la première victime du pouilleux massacreur en question. À l’origine, un cocktail vaguement mondain, autre jeu d’adultes, à l’occasion duquel, alcoolisé au-delà du raisonnable, il lui aurait annoncé : "Tu as des gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit." Là, on est plus proche de la carte des vins que de celle du Tendre.

Autrefois, voilà qui aurait mérité une bonne baffe, assortie le lendemain d’une sévère rasade d’aspirine. Mais les réseaux sociaux sont là. Le nom du goujat y est jeté en pâture. On ne sait quelle est la réaction de son épouse ; on connaît celle de ses clients, qui le lâchent les uns après les autres. Socialement, il est mort. Médiatiquement, elle vit enfin, élevée par Time au rang des personnalités de l’année 2017.

L’époque étant ce qu’elle est, les deux sont au moins sortis de l’anonymat. L’arme est pourtant à double tranchant. Car c’est par les mêmes réseaux sociaux qu’Éric Brion empêche maintenant Sandra Muller de dormir toute la nuit ; mais pour des raisons autrement moins affectueuses, avec une première tribune publiée dans L’Obs, puis une seconde dans Le Monde, avant de porter plainte pour diffamation. Lui ? Il se défend avec les arguments du moment, on comprend. Mais elle ? Elle est de son temps, tout simplement.

Le sien ayant été épargné par les guerres, il lui faut donc en mener d’autres, imaginaires. Le siècle d’avant a été marqué par les héros. Le sien, le nôtre, l’est par les victimes. D’où l’héroïsme victimaire causant les ravages qu’on sait. Héroïsme consistant à lutter contre un fascisme n’existant plus que dans les livres d’Histoire. "Victimat" poussant à s’identifier aux martyrs de naguère. Du point de croix au point Godwin, il n’y a souvent qu’un pas. Entre Meetic et Metoo, on existe enfin : merci, Internet !

Regardez ma douleur, comme elle est belle ! Voyez comme mon calvaire relève de l’indicible ! On a fermé les goulags, mais ma prison est intérieure. Reléguée en tant que femme, "sans-papière", harcelée, stigmatisée, malgré tout, je résiste ! Je prouve que j’existe ! Je suis Simone Veil et France Gall ! En triant mes ordures ménagères, je sauve la planète ! Je suis Jeanne d’Arc et la mère Denis ! Je souffre, donc je suis. Mon héroïsme quotidien donne du sens à une vie qui n’en a pas.

Mais, fussent-ils assignés à leurs genres respectifs, les gars ne sont pas plus bêtes que les filles. Éric Brion, lui aussi, endure et en chie velu, en tant que journaliste au chomdu. Victime du matriarcat féministe, il est en lutte. C’est une autre victime, incarnant une autre forme de "victimat". Moi aussi ! Moi aussi ! Qu’on vienne lécher mes plaies ! Où que sont mes followers ? Pourquoi j’aurais pas le droit de chialer comme une gonzesse ? Après tout, les hommes ne sont-ils pas des pisseuses comme les autres ? #balancetadinde et rejoins le maquis !

Prochaine étape : Éric Brion, histoire d’achever le transfert doloriste et d’en rajouter dans la pornographie compassionnelle, peut encore se faire photographier, un lendemain de cuite, à quatre pattes et le derche à l’air. Tandis que Sandra Muller pourra toujours se faire engager chez Anne Hidalgo ; tout aussi efficace, mais nettement moins photogénique.

Il a souvent été prétendu que les sociétés tombaient du côté vers lequel elles penchaient. C’est vers le vide que la nôtre incline.

11653 vues

19 janvier 2018 à 23:32

La possibilité d'ajouter de nouveaux commentaires a été désactivée.