18 août 2008, Uzbin, Afghanistan : une patrouille de soldats français du 8e régiment parachutiste d'infanterie de marine tombe dans une embuscade montée par les talibans. Le combat dure deux jours. Un bilan très lourd du côté français : dix tués, vingt et un blessés et de nombreux soldats frappés du syndrome post-traumatique.

Une exclusivité de Boulevard Voltaire : l'interview d'un ancien soldat ayant participé à cette bataille. Un récit poignant, édifiant. Encourageant aussi, car "chaque jour est une victoire", nous dit ce vétéran qui raconte son combat pour guérir après un tel traumatisme.

En solidarité avec nos blessés de l'armée de terre dont c'est la journée ce 23 juin.

Nous célébrerons cet été les 10 ans de l’embuscade d’Uzbin. Cette embuscade qui s’est déroulée en Afghanistan a coûté la vie à 10 soldats français.
Vous faisiez partie de la première section de renfort envoyée sur les lieux aux premiers instants de l’attaque.
Que s’est-il passé à Uzbin en 2008 ?

C’était le 18 août 2008. Ma section était d’alerte, en base arrière d’une section déjà partie en patrouille le matin. Nous étions prêts à intervenir en cas de problèmes.

Lorsque vous êtes arrivés sur les lieux, des tirs arrivaient de partout. Nous imaginons une ambiance assez chaotique et cataclysmique.
Que s’est-il passé lorsque vous êtes arrivés sur les lieux?

Quand nous sommes arrivés sur les lieux une heure et demie après, c’était l’enfer. Nous avons très vite été pris à parti. Nous avons été rapidement en contact avec les talibans. Nous n’avons pas eu le temps de nous dire grand-chose, nous avons surtout mis en œuvre les actes réflexes appris à l’entraînement. Nous avons été sous le feu pendant près de 5 heures. La mission était d’aller renforcer la section Carmin 2 prise sous le feu depuis la fin de la matinée. Nous devions prendre les talibans à revers afin de pouvoir dégager nos camarades, ou plutôt ceux qui étaient encore en vie.

10 soldats français sont morts ce jour-là et 25 blessés.
Sort-on indemne d’Uzbin?

Lorsqu’on parle de 25 blessés, ce sont 25 blessés physiques et non psychologiques. À l’époque, nous n’en parlions pas beaucoup. C’était un peu une surprise pour tout le monde, même s’il y en avait avec le Rwanda ou d’autres missions extérieures. Aujourd’hui, cela s’est un peu plus démocratisé.
J’ai été touché par un certain nombre de syndromes de stress post-traumatiques. À l’issue du combat, j’ai participé à l’infiltration de nuit qui était assez difficile et j’ai également participé avec l’aide de certains de mes camarades au relevage des corps dans le col. Nous les avons remontés au petit matin, chargés dans des housses et mis dans les hélicoptères pour être ensuite rapatriés sur Kaboul puis en France pour la cérémonie aux Invalides.
Même si, sans prétention, le combat a été difficile, ce moment a été moins difficile que celui du ramassage des corps, et surtout de nos camarades. Nous avons dû les laisser la nuit, le long des chemins. Nous avons dû passer par-dessus, car il fallait coûte que coûte que l’on prenne le col au petit matin pour ne pas que les talibans reviennent. Ce qu’ils ont quand même fait finalement. Et nous avons descendu les derniers corps sous des tirs de mortiers talibans.

Vous en êtes sorti avec un syndrome post-traumatique.
Concrètement, comment vit-on avec ?
Comment cela se déclare-t-il et que fait-on pour le surmonter ?

Ce serait assez long à expliquer, car ce sont quelques années de ma vie.
Ce syndrome s’est déclaré deux jours après l’embuscade. Je faisais de grosses insomnies à ne plus du tout dormir. J’étais pris de tremblements, j’étais perfusé à l’infirmerie dans ma base. J’ai été ensuite transféré à Kaboul pendant une semaine, le temps de voir comment cela allait se passer.
C’est à Kaboul que les médecins ont décidé de me rapatrier, car il n’était plus possible pour moi.
Je faisais beaucoup de cauchemars, je criais beaucoup. J’avais peur du noir, je cherchais l’interrupteur. Cela devenait invivable. La descente aux enfers s’en est suivie.
Je me suis beaucoup bagarré dans les bars de Castres à cause de l’incompréhension de la population, des mots difficiles de certains qui nous prenaient pour des tueurs d’enfants, et aussi de l’alcool.
On ne veut parler que de cela, et on s’enferme petit à petit.
J’ai eu la grande chance d’avoir une famille solide et soudée qui m’a beaucoup entourée. Pendant plusieurs années, cela n’a pas toujours été facile. J’ai parfois eu le besoin de m’en écarter, car je me sentais incompris et d’autres fois, j’avais le besoin de m’en rapprocher, car j’avais besoin d’eux.
Cela n’a pas été le cas de tout le monde.
Pour ma part, le colonel de Montleau, médecin-chef de la cellule psychiatrique de Percy, m’a beaucoup aidé, ainsi que mes parents et mes frères et sœurs.

Suite à l’embuscade d’Uzbin, vous avez quitté l’armée assez rapidement.
L’armée vous a-t-elle accompagnée ?

L’armée m’a personnellement aidé le temps où j’étais en arrêt. J’étais encore sous contrat. La cellule d’aide aux blessés de l’armée de terre, la CABAT, a fait un travail formidable. Je passais parfois leur dire bonjour ou boire un café dans leur bureau sans forcément avoir quelque chose à leur demander. Ils prennent vraiment leur travail à coeur.
J’en profite d’ailleurs pour les remercier.
Une fois que j’ai été radié des contrôles, j’ai été moins suivi. Mais c’est évidemment normal.
Le psychiatre a toujours été là. Je le voyais tous les 15 jours pendant 1 an, puis 1 fois par mois, l’année d’après, puis ça s’est estompé.
J’estime avoir été bien pris en charge au sein de l’armée.
Pour mon régiment, le 8e RPIMa, c’était un peu plus difficile. Ce n’était pas monnaie courante d’avoir des rapatriés atteints d’un syndrome de stress post-traumatique. Beaucoup de personnes du régiment et l’opinion publique étaient focalisées sur les blessés physiques et sur les décédés et leur famille. Nous nous sommes sentis un peu oubliés, mais nous avons fait avec. C’est ce qui a malheureusement contribué à ce que je descende un peu aux enfers. Mais c’est comme tout, on se relève quand même .

Que peut-on faire en sortant de l’armée après avoir vécu cela ?
A-t-on envie de complètement couper les ponts avec le métier des armes ?

La réponse est assez claire. C’est un choix propre à chacun. Nous avons tous vécu les choses différemment. Que ce soit la section qui a été prise à partie dans le col ou la section qui était juste derrière, c’est-à-dire nous qui par miracle n’avons pas connu la mort, c’est vraiment propre à chacun.
Moi, en l’occurrence, j’ai quitté l’armée en 2010. Je me suis reconverti dans la protection de biens et de personnes, principalement à l’étranger.
Mon entourage a difficilement accepté que je reparte dans des pays à risque pour refaire un boulot assez similaire pour des sociétés privées. Je n’avais pas tiré un trait sur le côté aventure.
Je suis globalement le seul dans les 3 ou 4 sections qui ont été prises sous le feu à travailler dans la sécurité privée. D’autres sont boulangers, électriciens ou autres. Seule une minorité est resté dans l’armée.
J’ai beaucoup voyagé. J’ai travaillé pour différentes sociétés, principalement en Afrique et un peu au Moyen-Orient. J’ai également eu des moments durs. Si je quitte aujourd’hui cet emploi, c’est parce que je recherche une stabilité professionnelle. Au bout de la descente aux enfers, on se relève. Je me suis relevé grâce à la rencontre que j’ai faite. Je me suis marié. Je n’avais pas totalement tout réglé et finalement cela s’est fini par un divorce il y a 2 ans.
On ne fait pas les mêmes choix à 20, 30 ou 40 ans.
Je sais qu’aujourd’hui beaucoup ont coupé les ponts avec tout cela, d’autres non. En ce qui me concerne, je rentre à l’école de police en septembre. Je sais pourquoi je le fais et ce n’est pas par dépit. J’ai réfléchi à ce que je pouvais faire après mon métier de sécurité. J’avais envie de faire autre chose et je me suis surtout demandé où je pouvais être utile, ce que je voulais faire et surtout ce que je ne voulais plus faire.
J’avais besoin d’un métier à responsabilité. Je connais le contact avec les armes. Je suis sportif et je cherchais un métier avec peu de monotonie. La police et la gendarmerie avaient des services intéressants où on ne fait pas toujours la même chose. Je pouvais en plus apporter une plus-value.
Beaucoup d’autres savent faire le même métier que moi, mais préfèrent couper les ponts. Je pense que c’est vraiment psychologique et propre à chacun.

Peut-on tirer un trait 10 ans après ?
Vous considérez-vous totalement guéri ?

Aujourd’hui, je vous dirais que tout va bien. J’ai beaucoup de projets. Je vais me remarier et retrouver une stabilité professionnelle. C’est tout ce qu’un homme peut espérer. Totalement guéri, je pense clairement que non. Je ne sais pas si on peut vraiment l’être.
Je peux dire que je me sens beaucoup plus solide et plus mature qu’avant. C’est tout le chemin de la résilience. Il est long pour tout le monde, et il est évidemment lourd pour moi. Je pense que j’ai encore du boulot à faire là-dessus, mais j’y travaille pour éviter de faire souffrir mon entourage. Je considère que je vais beaucoup mieux qu’avant. Je ne pense pas que je sois à l’abri de retomber, car j’ai encore des hauts et des bas. Mais en avoir conscience me permet d’y travailler.

Une épreuve comme celle-là arrive à peu de gens. Beaucoup de vos camarades pas forcément présents à Uzbin, mais blessés sur le théâtre d’opérations, ne veulent plus en parler.
Pourquoi acceptez-vous d’en parler ?

J’ai longtemps été en colère contre les médias en général et contre l’opinion publique. Il y a eu beaucoup de chasse au buzz. On appelle cela des « chercheurs de médailles », c’est à celui qui trouvera le gars qui va lui sortir la minute de l’embuscade que personne ne connaît.
J’ai un père journaliste qui nous a toujours appris a être en vérité avec soi-même et les autres et surtout à vérifier ses sources avant de parler. Cela n’a pas été le cas de tous les médias sur ce sujet.
Je pense que d’une certaine manière, c’était une thérapie pour moi. J’avais besoin de parler et surtout de remettre les choses en place. J’ai surtout parlé de ma blessure et du syndrome post-traumatique. Je n’ai pas parlé de la blessure physique des autres.
C’est toujours facile de polémiquer sur son canapé, mais quand on est sur le terrain en contact direct avec la mort, ce n’est plus la même chose.
J’ai trouvé très dommage que les journalistes soient prêts à tout pour faire le buzz.
J’ai été aussi très triste que mes copains qui avaient beaucoup de choses à dire se soient totalement fermés dès le début après avoir rencontré des journalistes. Ils ont vite senti qu’ils avaient affaire à des gens malhonnêtes ou qui voulaient refaire le monde.
L’attitude de ces journalistes n’est pas sympa pour les militaires qui ont vécu cet événement, et surtout pour les familles de victimes. Il y a deux ans, j’ai rencontré la mère d’un camarade décédé qui racontait des choses fausses sur son fils, car véhiculées par des journalistes véreux. C’est affligeant.
Mon idée était d’accepter de témoigner pour essayer de remettre les choses en place.

Que diriez-vous à un jeune qui a eu le même traumatisme que vous dans le cadre de l’armée.
Quel message voudriez-vous lui donner pour qu’il se relève ?

Je lui dirais spontanément de garder espoir. Derrière les nuages, il y a toujours un rayon de soleil.
Ça peut parfois prendre du temps. Il faut utiliser ce temps à bon escient et ne pas s’endormir sur ses lauriers, car ce n’est pas quelque chose à prendre à la légère. On peut vraiment en souffrir et faire souffrir son entourage. Or, ce n’est pas l’idée, car tout le monde a le droit au bonheur.
Je lui dirais de ne pas hésiter à parler et à se rapprocher de cellules spécifiques pour ce genre de traumatismes. L’armée a fait beaucoup de progrès à ce niveau. Je lui dirais d’avancer, de se relever, car chaque jour est une victoire. Pour ne pas se sentir incompris, il faut parler. On peut aussi se relever grâce aux sports, au travail et aux rencontres. Elles sont très importantes, mais il faut faire attention de rencontrer les bonnes personnes.
Garde espoir, crois-en la providence et avance.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 27/06/2018 à 6:13.

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23 juin 2018 à 17:49

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