Je voulais défendre Catherine Deneuve qui, malgré sa belle et éclairante lettre publiée dans Libération, a été victime d'un odieux lynchage sur les réseaux sociaux.

Quand l'écoute des trois discours du premier président de la Cour de cassation, du procureur général et du président de la République, lors de l'audience solennelle de rentrée du début de l'année judiciaire, m'a conduit à un certain nombre d'observations plus appropriées à mon expérience passée.

Je ne méconnais pas l'intelligence ni la qualité des allocutions "léchées", très travaillées et classiques dans leur forme, prononcées par les chefs de la Cour de cassation, mais j'ai cependant trouvé un peu longuets les saluts, les préliminaires, les remerciements et les hommages, l'étalage de ces propos conventionnels qui semblent n'avoir pas d'autre but que de retarder l'expression de l'essentiel.

Bertrand Louvel a gratifié ses six cents auditeurs choisis et triés sur le volet de l'exposition d'une relation historico et politico-judiciaire qui n'a négligé aucune étape ni séquence et qui était connue, je le suppose, de la plupart.

Lui-même puis Jean-Claude Marin ont théorisé sur l'indépendance des magistrats, le statut du parquet, la nécessaire unité, selon eux, du corps, le poids de l'Europe judiciaire et le rôle important du Conseil supérieur de la magistrature.

De la densité, des abstractions, des généralités dans un climat qui, en définitive, tant la forme était superbement empesée, était susceptible de plaire à tout le monde, aussi bien au pouvoir qu'à l'ensemble du monde judiciaire.

Je ne pouvais pas m'empêcher d'éprouver une sorte d'ironie face au compagnonnage de Bertrand Louvel, avec sa rectitude et son intelligence nettes et entières, et de Jean-Claude Marin, dont la souplesse et le dévouement sous Nicolas Sarkozy ont été compensées par l'aura acquise grâce à son alacrité d'esprit et à l'heureuse contagion du premier président à ses côtés.

Puis le président de la République s'est exprimé. Il n'a pas fait dans la facilité et les banalités. La bêtise n'est pas son fort et il préfère, à des formules à l'emporte-pièce, des considérations complexes. C'est aussi une manière de respecter ceux qui l'écoutent et qui méritent cette profondeur.

Même si l'exercice lui permettait de formuler des espérances, mais de ne pas s'engager dans le détail de l'avenir judiciaire en renvoyant au garde des Sceaux la responsabilité de rendre opératoires des pistes dont il soulignait l'importance.

Il a confirmé l'abolition de la Cour de justice de la République en étant soucieux, toutefois, de préserver la particularité de la fonction de ministre pour que celle-ci ne soit pas en permanence entravée par des doléances et plaintes absurdes (Le Figaro).

Il a fait part de sa volonté de renforcer l'exécution des peines, à mon sens en surestimant la portée des peines alternatives à la détention. Il a rappelé quelques principes élémentaires dont la répétition n'est jamais inutile. Une peine prononcée doit être exécutée. On ne change pas dans l'instant - funeste loi Dati - un emprisonnement ordonné par un tribunal quasiment en son contraire. Il a annoncé la création d'un procureur national antiterroriste et loué l'action du procureur Molins.

Un plan pénitentiaire global, concernant aussi bien les surveillants et leur quotidienneté de plus en plus menacée que les modalités d'incarcération parfois indécentes et la surpopulation actuelle, est promis par le Président. Je ne voudrais pas que cet engagement fasse partie de l'arsenal classique visant à rassurer, à donner l'illusion d'une action pour, en fait, ne rien accomplir. On sait bien que les prisons, ces dépotoirs de la République, sont plus que jamais nécessaires, mais qu'un pouvoir consente à y toucher, c'est autre chose !

Plus profondément, et à juste titre, Emmanuel Macron a déclaré ne pas vouloir modifier la composition du Conseil supérieur de la magistrature et s'est interrogé longuement sur le maintien ou non du lien hiérarchique entre le parquet et le garde des Sceaux pour conclure en faveur du statu quo. À cause de la double nature du premier : créateur d'une pratique judiciaire et en même temps responsable d'une politique pénale décidée par un gouvernement et dont il doit répondre.

Cette approche lucide n'est pas contradictoire avec le fait qu'il souhaite soumettre au même statut siège et parquet - pour les nominations et sur un plan disciplinaire.

Le président de la République a insisté - c'est capital - non seulement sur la séparation des pouvoirs et l'indépendance des magistrats mais surtout sur l'effectivité de la Justice. Il convient que celle-ci fonctionne efficacement et j'ai aimé qu'en la qualifiant de "service public pas comme les autres", il admette explicitement qu'elle est d'abord un service public, et peu importe qu'on se batte pour rien sur autorité et pouvoir !

Concluant qu'humaine, la justice est forcément imparfaite, il a mis en exergue que l'efficience de la Justice est un ciment de la République.

Même si tout n'est pas absolument à approuver dans cette première vision exhaustive du Président sur la Justice, il a fait sortir cette rentrée du registre d'un "vent solennel" pour la rendre digne d'une démocratie au service exclusif des citoyens.

Je regrette que les chefs de la Cour de cassation n'aient pas axé leur intervention sur ce double thème : ce que le pouvoir doit à la Justice, ce que la Justice, elle, doit à la société et aux citoyens. Elle n'a pas qu'à exiger et recevoir, elle doit aussi beaucoup donner.

Si j'avais été jeune étudiant hésitant au seuil d'une carrière judiciaire, je ne crois pas que j'aurais été enthousiasmé et convaincu par les superbes propos conventionnels des chefs de cour. Il m'aurait manqué l'essentiel : la démonstration éclatante et vigoureuse qu'être magistrat est une mission, un service et un honneur.

Enfin, quelle qu'ait été la tonalité de cette rentrée, je n'ai qu'une certitude : la Cour de cassation et les magistrats en général ne sont vraiment pas "des petits pois" !

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 01/05/2019 à 3:32.

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16 janvier 2018 à 12:00

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