Réforme du bac, un espoir déçu

On croyait Jean Michel Blanquer de droite. Il aimait les langues anciennes, la dictée, le passé simple, refusait le langage inclusif, toussa… C’était un peu le chef de file des droitistes de ce gouvernement de « en même temps », le dernier espoir d’une droite en attente du moindre petit coucou amical qui lui permettrait de garder ses illusions.

Patatras !

Le bac nouveau est arrivé.

Et là où il faudrait une pré-professionnalisation par filière qui prépare à l’université ou à la pratique d’un métier, sa réforme impose ce qui a déjà tué le collège : le tronc commun. 

Souvent, les jeunes savent dès quatorze ans ce qui les attire, ce pourquoi ils sentent s'ils sont faits. Ils ont hâte d’apprentissages spécialisés. Mais non, pas question ! Ils vont ronger leur frein encore quatre ans. Fini, les filières S ou L. Il n’y a pas de littéraires et de scientifiques, de techniciens ou d’artistes. Allez hop, tronc commun ! On ne veut voir qu’une seule tête. Aucun talent qui dépasse.

Deuxième innovation : la place du contrôle continu. Ce système, qui a transformé les séminaires de fac en classes de lycée après 68, et dont on ne peut nier l’efficacité comme mode de préparation à des examens, le voilà promu comme source de 40 % de la note finale au bac.

Multiplicité de systèmes de notation, multiplicité des barèmes… tout dépendra donc des lycées. Fini, l’égalité du concours, celle résultant des capacités du cerveau d’un élève face à un problème, partout et le même jour en France.

Pour couronner le tout, un grand oral sera « une des matières finales ». « Comme à l’ENA, mon pote, yes ! » « Comme à les… quoi ? » « Laisse tomber, c’est top, on va les scotcher avec le rap, Orelsan, tout ça ». En effet, comme l’écrit, dans Le Monde, un professeur d’art oratoire à Sciences Po, "l’oral ne demande pas de prérequis ni un quelconque talent de naissance". Ouf, on avait eu peur.

"Il faut savoir parler, dans la vie", dit un collaborateur du ministre pour justifier ce choix. Oui, mais pas seulement. Savoir parler, celui qui vend des épluche-légumes au marché le fait très bien. Il faut savoir de quoi on parle, et ça n’est pas du tout la même chose. Ça s’acquiert dans la familiarité progressive avec une science, une technique ou des textes. Pas dans les approximations des matières « pour tous » qu’on balance dans le « tronc commun ».

Parmi celles-ci, la culture générale, qui fera désormais partie des épreuves . Cette « culture G » , déjà introduite à l’université, est affectionnée par les étudiants, car présumée « matière bidon ». Le ministre lui prête une grande vertu : "La culture générale, c’est ce qui comble les inégalités", a-t-il déclaré dans Le Point. Pour l’avoir enseignée à l’université, je peux garantir qu’elle les exacerbe au contraire, car ceux qui ont de mauvaises notes sont ceux qui connaissent mieux NTM ou Johnny que saint Thomas d’Aquin ou Hobbes. 

Emplir précocement les jeunes d’un savoir solide qu’ils auront en propre, et les contrôler sur ce seul savoir, est la seule manière de ne pas tenir compte de l’acquis culturel familial, par nature inégal, et de donner leur chance à tous. Et une pré-orientation rigoureuse la seule manière d’éviter l’échec destructeur dû, non au manque de travail, mais au manque d’aptitudes.

Allez, c’est pas encore demain que, dans nos amphithéâtres, les étudiants de première année, délivrés du spectre de l’echec à 65 %, conquis par la matière qu’ils auront découverte au lycée et animés du désir de la pratiquer au plus vite, nous écouteront les yeux brillants d’espoir. Je le crains.

Catherine Rouvier
Catherine Rouvier
Docteur d'Etat en droit public, avocat, maitre de conférences des Universités

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