La gestion de la crise des gilets jaunes a accouché d’un grand débat national. C’est beau, le débat, dans une démocratie, c’est même essentiel : pas de débat, pas d’occasion de discuter et de convaincre que le bien public serait mieux servi par telle décision que par telle autre. Sauf qu’il y a, dans ce grand débat qui nous est proposé, comme une arnaque manifeste.

Le personnel qui s’active en cuisine, tout d’abord : le CESE (celui qui a tué la démocratie directe en France en refusant la pétition de 700.000 citoyens sur le mariage entre personne du même sexe) est aussi légitime derrière les fourneaux que Pol Pot ou Pinochet pour faire l’apologie des droits de l’homme. Les timides regrets exprimés par son actuel président n’y changeront rien. De plus, le prestataire technique, Cap Collectif, est celui qui s’était tristement illustré lors des États généraux de la bioéthique avec une modération partiale et sectaire, une réactivité très insuffisante, une incapacité à prévenir les fraudes et une instabilité technique pénalisant ceux qui y ont participé. La brigade est bien 3 étoiles, mais pas au Michelin, plutôt au guide Hannah Arendt des totalitaires décomplexés.

Pour ce qui est des ingrédients, il en manque un, bien sûr : l’immigration, qui est un sujet tabou. Elle est écartée pour cause de bien-pensance, en violation des engagements pris par le Président lui-même. Certes, les autres ingrédients donnent déjà une roborative consistance à l’ensemble, et il est légitime de craindre que ce thème de l’immigration puisse être pris comme un bouc émissaire ou un exutoire trop simple, trop facile. Mais n’est-ce pas, en quelque sorte, casser le thermomètre que de refuser que se tienne, dans ce cadre organisé, la discussion ? Elle se tient ailleurs, de toute façon, sur les réseaux dit sociaux et les médias alternatifs, entre autres.

Sur la recette, il y a beaucoup à redire, aussi. Le calendrier, d’abord : du 15 décembre 2018 au 4 janvier 2019 pour laisser s’exprimer les citoyens, c’est trop peu de temps et à un moment où tous ne seront pas nécessairement disponibles pour apporter leur pierre à l’édifice. Sur la méthode, il y a un gigantesque problème : le refus de dé-dupliquer les propositions a priori conduit à les laisser se multiplier au-delà de toute mesure. Il y a ainsi, à l’heure où j’écris, 5.352 propositions, mais combien demandent le référendum d’initiative citoyenne ou le rétablissement de l’impôt dit de solidarité sur la fortune ou le non-cumul des mandats ? Laisser à chacun la liberté de proposer une contribution est essentiel, mais il faudrait être capable d’assurer que chaque contribution soit originale. Cela devrait être l'une des tâches d’une modération bien organisée. À charge, pour les participants, de s’exprimer sur un sujet par un vote pour ou contre (mais cette dernière option n’existe pas) et de proposer, dans les commentaires de chaque contribution, des corrections, des suggestions, des amodiations, des arguments ou de simples remarques. Ce serait un débat qui ressemblerait à quelque chose au lieu d’un océan de propositions redondantes.

Le cynique désabusé que je suis est obligé de conclure que l’échec de la recette est inéluctable. Il n’en sortira qu’un indigeste brouet sans saveur. Pire : il est voulu par les commanditaires eux-mêmes, qui ne veulent que cocher publiquement une case « débat » et prétendre être de valeureux démocrates respectueux de l’opinion d’autrui. Nous avons, ici, un débat "Canada Dry" : il a le goût de la démocratie, l’odeur de la démocratie, la couleur de la démocratie, mais ce n’est pas de la démocratie.

Participons sans être dupes.

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30 décembre 2018 à 9:07

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