La condamnation à perpétuité de Ratko Mladic par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie a fait refleurir dans nos médias toute une logomachie mise au point pendant les tragiques événements des années 1990-2000.

C’est ainsi que, pendant toute la journée du 22 novembre, les journalistes de France Inter et de France Info (et sans doute tous ceux des autres chaînes de radio et télévision qu’on voudra bien nous excuser de ne pas avoir écoutés !), n’ont jamais prononcé le nom du général sans le faire suivre de la précision : « dénommé (ou surnommé) le boucher des Balkans ».

Ce psittacisme compulsif n’est pas pour étonner l’observateur ordinaire du fonctionnement de nos médias. Rien là que de fort banal ! Le problème est que cette affirmation, énoncée comme une évidence, n’a aucun fondement réel. Pour qu’elle en ait un, il aurait d’abord fallu que les perroquets qui se disent journalistes clarifient la question : « dénommé par qui ? ». La réponse est : par les médias eux-mêmes. On aurait donc pu s’attendre à ce que le qualificatif fût utilisé avec un minimum de cohérence.

Or, c’est là que les choses deviennent croquignolesques : nos prétendus informateurs oublient que, jusqu’à récemment, ils n’ont jamais qualifié Mladic de « boucher des Balkans ». Ils ont inventé ce cliché pour diaboliser Slobodan Milosevic, pendant toute la période où ils ont pu lui faire tenir ce rôle – c’est-à-dire jusqu’à ce que la mort l’emporte avant que sa condamnation pût être prononcée. Mais le cliché « boucher des Balkans » était trop beau pour être enterré avec Milosevic : on trouva donc un successeur pour le rôle. Quand il fut à son tour arrêté et traduit devant le TPIY, on en affubla Radovan Karadzic, qui jusqu’alors avait été qualifié – entre autres aménités – de « psychiatre fou ». Le cliché fit alors un nouveau et brillant tour de piste dans tous les médias. La diabolisation de Mladic, quant à elle, n’avait pas manqué de carburant sémantique pendant toute la période, mais on n’avait pas songé à lui refiler la patate chaude du « boucher des Balkans » après qu’elle fût devenue inutile pour accabler Karadzic ; il fallait attendre, sans doute, que suffisamment de temps se soit écoulé pour que le public ait oublié que le rôle avait déjà été attribué deux fois. Nos journalistes, de leur côté, ont-ils oublié l’usage forcené qu’ils ont fait de leur création verbale au fil des années ?

Par-delà l’embarras qui en résultera pour le candidat au jeu des mille euros qui, un jour, aura à répondre à la question : « quel personnage, pendant la crise yougoslave des années 1990-2000, a été dénommé le boucher des Balkans ? », ce réemploi à répétition d’un même slogan en dit plus long qu’un traité sur le sérieux avec lequel nos médias traitent, depuis 1992, les affaires liées à l’espace de l’ancienne Yougoslavie, et sur le crédit qu’on peut leur accorder. La réactivation du « boucher des Balkans » (comme de toute la logomachie qui accompagne l’annonce de ce verdict qui clôture le travail du TPIY) n’a qu’une fonction : résumer en un slogan que justice est faite, que l’histoire est écrite, que le jugement confirme (ouf !) que les médias ont eu raison, pendant deux décennies, de désigner les Serbes, et surtout leurs dirigeants, comme des monstres, seuls responsables des malheurs qui se sont abattus sur les peuples de la Yougoslavie. Circulez, il n’y a plus rien à voir !

Nos commentateurs aiment comparer le TPIY au tribunal de Nuremberg. Voire ! Ceux qui ont suivi, tout au long de la crise, les incroyables manipulations de l’information auxquelles elle a donné lieu, et sous l’influence desquelles les travaux de ce tribunal ad hoc ont été menés, ont toute raison de penser que la comparaison que feront les historiens du futur sera plutôt avec les procès de Moscou.

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24 novembre 2017 à 18:14

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