Que penser de la décapitation symbolique d’Emmanuel Macron ?

Gilets jaunes

Rappelez-vous, la semaine dernière, lors d'une manifestation déclarée, à Angoulême, des gilets jaunes ont mis en scène la décapitation de notre Président : après un procès fictif, un pantin à l’effigie du chef de l’État fut décapité à la hache. Édouard Philippe s'en émut et déclara : "Il est hors de question de banaliser de tels gestes qui doivent faire l’objet d’une condamnation unanime et de sanctions pénales." Une enquête a été ouverte pour « provocation publique à la commission d’un crime » et « outrage à personne dépositaire de l’autorité publique » : trois personnes ont été placées en garde à vue.

Certes, cette parodie d'exécution est de mauvais goût, mais évoquer de telles charges contre les responsables, n'est-ce pas dramatiser l'affaire plus qu'elle ne le mérite ? L'avocat des prévenus regrette ces prises de position excessives, qui donnent à l'affaire un "tournant politico-judiciaire". Il estime que ses clients sont victimes d'une "lourde médiatisation" qu'ils n'ont pas recherchée, d'un "événement qui relevait du second degré", une "pièce de théâtre organisée par des gilets jaunes" pour "des gilets jaunes". Ses clients seraient prêts à présenter leurs excuses.

Mais l'offense est impardonnable. Au point que trois journalistes, qui ont eu le malheur de couvrir cet événement, ont également été entendus par la police, non comme témoins, selon La Charente libre, mais comme "mis en cause". Voilà maintenant la presse impliquée dans un obscur complot contre Macron. "Où va-t-on ? Et la liberté d'informer ?", s'est indigné le Syndicat national des journalistes. Il y a de quoi. Qu'on passe un savon aux gilets jaunes pour leur mauvaise plaisanterie, on pourrait le comprendre, mais à la presse, qui ne fait que son travail !

En feignant de croire que le geste symbolique des gilets jaunes est un appel au meurtre du chef de l'État et une atteinte intolérable à sa personne, le pouvoir sombre dans le ridicule, qui tue plus efficacement qu'un simulacre de décapitation. Les suites données à cette affaire montrent à quel degré de faiblesse il est parvenu. Un pouvoir solide peut se permettre d'être indulgent, tout en rappelant au passage les règles de courtoisie, qui sont dues à tous les Français. Un pouvoir faible, quand il est excessif pour affirmer son autorité, ne fait que se déconsidérer davantage.

D'aucuns peuvent le regretter, mais force est de constater qu'Emmanuel Macron, non pas sa fonction, mais sa personne, a fortement décliné dans les sondages, battant les records d'impopularité de son prédécesseur - ce qui est un exploit. Les gilets jaunes, par cette parodie macabre, ont voulu se défouler, comme au carnaval, transgresser les normes et exprimer leur rejet d'un homme qui les méprise. C'est le meurtre symbolique du protecteur de la nation, qui a failli à sa mission.

Si on osait donner un conseil aux autorités qui nous gouvernent, on leur dirait de suivre la recommandation de Pierre Desproges : "Si on prend mes textes au premier degré, ils sont provocants, odieux, insupportables. Mais il faut savoir passer à la dimension supérieure et rire de ce qui dérange." Et si cette purge ne suffit pas à les guérir, administrons-leur cet réflexion de Ionesco : "Où il n'y a pas d'humour, il n'y a pas d'humanité."

Philippe Kerlouan
Philippe Kerlouan
Chroniqueur à BV, écrivain, professeur en retraite

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