Un Président qui enchante encore, un adversaire qui proteste que le roi est nu ? Magnifique débat pour la France

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La dernière enquête du CEVIPOF qui fait profiter Emmanuel Macron "du bénéfice du doute" et qui révèle "l'attentisme prudent des Français" n'est pas loin, sans forcer le trait, d'un rapport qui mettrait les citoyens dans un état de stupéfaction et encore d'espérance face à un pouvoir insaisissable et non maîtrisable par une rationalité classique. Enchantement peut-être plus, en tout cas séduction encore ? On n'est pas encore rentré dans le dur de la désillusion civique ! Les yeux sont ouverts mais le jugement suspendu.

Si j'insiste tellement sur le caractère "enchanteur" de ces premiers mois - pour la mise à mal des oppositions traditionnelles et un pouvoir qui n'a pas encore déserté les territoires de l'illusion et du rêve -, cela tient à l'erreur qui me semble commise au sujet de LR et de la probable victoire de Laurent Wauquiez. Il est de bon ton intellectuel et démocratique de se gausser de ce dernier, ce qui est doublement inepte : sur le plan personnel - ceux qui le détestent et le pourfendent ne le valent pas - et pour le registre politique.

Le président de la République, lui, ne tombe pas dans ce panneau car il estime "qu'il faut prendre Wauquiez au sérieux, c'est quelqu'un de très déterminé et de très organisé" et un membre de l'Élysée affirme que "le Président a repéré chez lui des qualités qu'il a lui-même, c'est la raison pour laquelle la plus grande des erreurs serait à ses yeux de le sous-estimer".

Si, en effet, Laurent Wauquiez était le seul à avoir compris la particularité de cette séquence présidentielle - de magie pure - et, donc, l'obligation de ne pas être si peu que ce soit dans la mouvance de cet "enchantement", s'il avait pris la mesure de l'unique vision, de l'exclusive option capables de rompre l'illusion, de dissiper le rêve et de projeter du réel, du terre à terre dans l'enchantement ?

Quand, au sein de LR, "la droite modérée veut se compter" et que le vaillant Maël de Calan a reçu le soutien d'Alain Juppé - qui non seulement ne veut pas d'alliance avec le FN mais incite à combattre ses idées comme si toutes étaient hétérogènes à l'univers d'une droite classique -, on demeure, avec ce registre, dans une logique, une approche et des perspectives dont le pouvoir "macronien" s'accommodera aisément puisqu'elles ne constituent pas une rupture par rapport à lui.

Le rassemblement que de bons apôtres conseillent à Laurent Wauquiez - déjà sans Valérie Pécresse et Xavier Bertrand - risquerait de bénéficier au président de la République qui ne pourrait qu'adorer une droite affadie face à son dépassement doucement et efficacement étouffant !

Alors que, pour le futur président de LR, à bien le lire et le comprendre, il s'agira de faire rentrer brutalement dans le monde si dangereusement séduisant, consensuel et glissant d'Emmanuel Macron un réel univoque, une politique tranchée, une hémiplégie intellectuelle et sociale, une lucidité infiniment critique. Comme une volonté de dessiller les yeux d'une société et d'une multitude selon lui encore trop aveuglées, subjuguées.

Je ne sais pas s'il a raison mais, en tout cas, son programme à lui ne ménage pas Emmanuel Macron, tout en faisant semblant de le combattre, mais s'oblige au contraire à fuir sa magie, le trouble qu'il suscite, l'ambiguïté intelligente et tactique qu'il cultive au bénéfice d'une opposition visant à dissiper le flou, les brumes et l'apparent effacement des frontières.

Un Président qui enchante encore, un adversaire qui proteste que le roi est nu ? Magnifique débat pour la France et pour demain.

Philippe Bilger
Philippe Bilger
Magistrat honoraire - Magistrat honoraire et président de l'Institut de la parole

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