24 décembre 1941, Soest, en Westphalie (Allemagne). Un an et demi, déjà, que le capitaine Berger est prisonnier. Un deuxième Noël derrière les barbelés. Et la fin de la guerre ne semble pas pour demain. Certes, les Soviétiques sont entrés en guerre durant l’été et l’on vient d’apprendre que les Japonais, il y a tout juste quinze jours, ont attaqué l’Amérique à Pearl Harbour, dans le Pacifique. Alors, à défaut d’espérer une libération prochaine ou une éventuelle évasion, facile à rêver mais plus compliquée à réaliser, la somme de milliers petits espoirs, rassemblés autour des crèches que l’on a construites de bric et de broc dans les chambrées, constitue quelque chose qui ressemble un peu à de l’espérance.

Ce camp, en fait une immense caserne constituée de longs et hauts bâtiments, c’est l’Oflag VIA[ref]Oflag, abréviation d’Offizierlager, camp d’officiers[/ref] où environ 1.500 officiers, principalement français, sont enfermés. Le ciel est gris, bas, triste. L’horizon, c’est les barbelés qui entourent le camp. Rien à voir avec le ciel provençal où la petite famille du capitaine Berger – son épouse, sa fille et son fils, âgés aujourd’hui de 5 et 4 ans - s'est réfugiée l'an passé. Ah, le ciel de Provence, le soir de Noël ! Ce ciel que l’on découvre, après avoir partagé les treize desserts, arrosés de vin de muscat, autour de la grande table, nappée de blanc et parée de l’argenterie bien astiquée. Les bûches font un feu d’enfer en ce soir où le paradis entrouvre ses portes. Il fait chaud dans la maison mais on va sortir. Emmitouflés, chapeautés, écharpés, on découvre ce ciel sur le perron : limpide et enguirlandé, car hier, veille de fête carillonnée, le mistral a fait le ménage, comme on l’a fait dans la maison. On est parti pour la messe de Minuit. Et lorsqu’on rentrera, fatigués, transis, les pieds gelés mais le cœur réchauffé, le petit Jésus aura pris sa place, miraculeusement, dans sa mangeoire.

À Soest, on a assisté aussi à la messe de minuit : à sept heures du soir, couvre-feu oblige. Depuis début décembre, on s’est affairé pour fabriquer la crèche. En fait, des dizaines de crèches, inspectées cet après-midi par les plus hauts gradés des captifs, car on a organisé un concours de crèches. Même le sous-lieutenant Raspail, instituteur dans le civil, socialiste et anticlérical, a apporté sa pierre à la construction de la crèche provençale de la chambre 56 du bloc II. Il est vrai que ce Marseillais parle avec gourmandise des navettes de Saint-Victor que l’on déguste à la Chandeleur, le jour où l’on remballe les santons dans leurs cartons. Le capitaine Berger a fabriqué un drôle de santon : un facteur. Pourquoi un facteur ? Parce que, sans doute, le courrier, ici, c’est important, vital même. Il arrive au compte-gouttes et apporte de France son lot de petits bonheurs mais aussi de malheurs. Les premières pages d’écriture d’un petit garçon, la mort d’une grand-mère… Il renvoie à la famille les quelques nouvelles que les cartes à trous autorisent à donner. Ce soir, le facteur est porteur d’espérance : dans sa sacoche, que de bonnes nouvelles ! La Bonne Nouvelle.

Noël, le Nouvel An, la Chandeleur sont passés. Plutôt que de mettre au chômage son facteur jusqu'en décembre prochain, le capitaine Berger vient d’avoir une idée : l’expédier en France pour l’offrir à Bernadette et Louis, ses deux petits qui doivent à peine se souvenir de lui. Cela fera toujours un prisonnier en moins.

Les mois passent. Le petit préposé a arrêté sa tournée sur la commode de la chambre des deux enfants. Un jour arrive à la maison une lettre du capitaine dans laquelle il recommande à sa femme de faire opérer le facteur. En captivité, mon mari est-il devenu fou, se demande-t-elle ?

Les mois, les ans passent. Trois longues années. Le 6 avril 1945, les Américains libèrent le camp. Quelques jours après, le capitaine retrouve le ciel printanier de Provence et surtout sa famille. Le soir, allant embrasser les deux gamins dans leur chambre, il découvre le santon postal. Alors, il s’empare du brave fonctionnaire miniature et, à la stupéfaction générale, le brise. Une longue lettre, écrite sur du papier à cigarette, est déroulée et révèle quelques espoirs d’évasion. Le courrier de l’Espérance finit toujours par arriver…

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24 décembre 2017 à 9:02

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