Ma source historique (le journal Pilote-Pilotorama du 26 avril 1962 ; c’est une forme d’humour, évidemment, il n’empêche : la jeunesse de l’époque mangeait consistant) évoque la prise de Constantinople en 1453 par les Ottomans. Dans Constantinople, 5.000 combattants à peine et, au pied des trente kilomètres de remparts de la ville assiégée, une armée turque constituée (toujours selon Pilote) de 10.000 janissaires, 60.000 fantassins venus d’Anatolie, des bachi-bouzouks (voir le capitaine Haddock), soldats irréguliers, musulmans et chrétiens. Nous connaissons la suite, mais l’article destiné à la jeunesse des Trente Glorieuses conclut comme suit : "Dès lors, la Turquie devenait une vraie nation européenne."

Personne ne pouvait deviner en 1453 que, cinq siècles et demi, un ex-empire et un génocide arménien plus tard, cette « Turquie européenne » exigerait paradoxalement d’entrer dans l’Union européenne et qu'un sultan arrogant (parce qu’insultant et sans vergogne à ses heures) clamerait au monde que cette adhésion est "inéluctable". Il se comprend sans doute en l’affirmant, lorgnant ainsi en direction d’une diaspora non négligeable en Allemagne et en Hollande entre autres, qui travaille activement, par islam interposé, à intégrer... l’Europe dans la Turquie.

En attendant, sous la férule du néo-sultan ottoman, intellectuels, fonctionnaires ou journalistes sont embastillés sans façon en Turquie, l’écrivain Ahmet Altan venant même de prendre perpétuité pour délit de l'esprit. C’est dans ce contexte que remonte périodiquement à la surface la question de la reconnaissance du génocide arménien et, encore une fois, les Pays-Bas semblent se distinguer en ce début février 2018 puisque la Chambre dite basse (sorte d’équivalent de l’Assemblée nationale, par opposition à la Chambre dite haute, sorte d’équivalent du Sénat) - les députés néerlandais, donc - vient de massivement reconnaître le génocide arménien à travers une motion stipulant "que le Parlement parle en termes clairs du génocide arménien" (142 voix pour, 3 contre). La Hollande se distingue donc, mais avec une nuance que l’on pourrait qualifier de taille : le gouvernement lui-même a botté en touche... Le ministre des Affaires étrangères par intérim Sigrid Kaag (suite à la démission du précédent ministre, Halbe Zijlstra, pour mensonge avéré autour d’une pseudo-rencontre, en 2006, avec Poutine !) a en effet affirmé qu’hommage serait rendu "aux victimes et aux proches de tous les massacres de minorités", sans pour autant que le gouvernement ne s’aventure à évoquer un génocide…

Une vingtaine de pays, paraît-il, reconnaissent actuellement le génocide arménien. Mais concernant les Pays-Bas, cette reconnaissance vaut-elle quand on voit la prudence de rosière du gouvernement ? En France, Macron, le 31 janvier dernier, a promis l’inscription au calendrier de la commémoration du génocide arménien… sans condamner, cependant, la Turquie. Si j’ai bien compris les fioritures de la politique, ici on ne nie pas le génocide, mais l'on se refuse à prononcer le mot ou à condamner le génocidaire… Ah, l’Europe, ce beau ventre mou…

Bien entendu, Ankara fulmine, et il est déjà question, dans les médias néerlandais, de menaces à l’encontre des parlementaires ayant des racines turques, qualifiés de traîtres. Les estimations du génocide varient : entre 800.000 et 1,5 million de morts, cependant qu’un clown à Ankara n’hésite pas à qualifier Merkel de nazie et a redéfini à notre enseigne la simple notion d’assimilation en "crime contre l’humanité".

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 09/01/2020 à 19:48.

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26 février 2018 à 10:48

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