Le bon papier d’Olivier Damien sur Boulevard Voltaire du 22 juin met le doigt là où ça fait mal : la grande misère de la Justice de France, en sous-effectif chronique, et incapable de remplir son office. Les chiffres sont là, bruts et un peu effrayants. Et néanmoins insuffisants.

Certes, les sous-effectifs sont une plaie du système judiciaire et il faudra plus qu’une augmentation du budget de la Justice pour les résorber, y compris en recourant à d’hypothétiques augmentations de salaire. Le mal est beaucoup plus profond et tient principalement à trois points.

En premier lieu, le système judiciaire n’est que le maillon d’une chaîne. Central, essentiel, fondamental dans une nation développée et civilisée, il doit contribuer à la paix civile en faisant respecter les lois et en punissant ceux qui les enfreignent. Mais lorsque la loi devient illisible tant elle est complexe et que le délinquant ne comprend plus la notion même d’infraction, lorsque la punition ne sera pas mise en œuvre faute de moyens, de volonté politique ou judiciaire, elle ne sert à rien. Un moteur de Ferrari n’a jamais fait d’une 4L un bolide de compétition. C’est un ensemble qu’il faut réformer.

En second lieu, la Justice est occupée à régler des problèmes qui ne relèvent pas d’elle : hormis la surpénalisation de certains comportements sociaux ou des infractions routières, elle joue le rôle d’une assistante sociale parce que bon nombre de gens deviennent incapables de se parler pour régler les petits litiges du quotidien. Les juges d’instance et les juges aux affaires familiales sont ainsi submergés de demandes qui minent leurs audiences et les obligent à rendre des jugements portant parfois sur des enjeux de cent euros… Le développement des contrats de protection juridique – fort utiles, par ailleurs - et la démographie galopante des avocats sont largement à l’origine de ce phénomène dont les pouvoirs publics devraient prendre conscience, parce qu’il peut être réglé par quelques moyens assez simples.

Enfin, la formation des juges est à proprement parler catastrophique. L’image du magistrat cultivé, voire érudit, n’est plus qu’un souvenir. Les juges contemporains sont issus du même milieu que les avocats, avec lesquels ils ont commencé leurs études de droit après un bac au rabais. Étudiants brillants, ils se dirigent naturellement vers des carrières libérales à fort potentiel de revenus. Médiocres, ils s’engouffrent dans la fonction judiciaire, sauf exception notable. D’une culture juridique et générale assez pauvre, ils ont passé le concours – réputé sélectif - de l’École nationale de la magistrature qui n’est rien d'autre qu’une sorte de Science Po judiciaire. En sortent des cohortes de jeunes juges d’un affligeant conformisme intellectuel, politiquement corrects, incapables d’inventivité, d’indépendance d’esprit et soumis à l’ordre établi. Un jeune juge a une carrière à effectuer ; son inamovibilité constitutionnellement garantie ne signifie pas la liberté de juger comme il l’entend.

Faut-il, pour autant, aller chercher les juges dans le privé, comme le propose Olivier Damien ? Sans doute pas. La fonction de juger est régalienne, publique et essentielle. Elle ne peut pas et ne doit pas être privatisée, même sous couvert d’un statut spécial. Le juge – le magistrat - est délégataire d’un pouvoir autrefois royal, aujourd’hui d’une parcelle de la souveraineté nationale. Il est donc un personnage public.

En revanche, refondre en profondeur le système judiciaire est une tâche nécessaire et titanesque. Il faudra bien l’entreprendre un jour. Mais il faudrait, pour cela, qu’il y ait un grand garde des Sceaux. Un d’Aguesseau, un Maupeou, un Portalis. Comme on le voit, ce n’est pas d’actualité…

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23 juin 2018 à 11:03

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