« Le parquet général fait appel : c’est normal ! »

Philippe Bilger donne son avis d'expert sur l'appel du parquet après le verdict du procès Merah ainsi que sur les réactions d'incompréhension de l'opinion publique, des parties civiles, de la défense et de certains observateurs.

Comprenez-vous les réactions d'incompréhension du grand public et d'une partie des observateurs ?

Il est très rare qu'un arrêt donne satisfaction à tout le monde.
Je comprends que celui-ci ne plaise pas aux parties civiles et pas non plus à la défense, même si elle a été évidemment très modérée dans ses attaques puisqu'elle a obtenu le principal.
Le parquet général fait appel. C'est tout à fait normal. Les réquisitions de l'avocate générale ont été brillantes, mais n'ont pas été suivies pour l'essentiel.
Je suis désolé, mais en ce qui concerne l'opinion publique et les journalistes, je crois qu'ils ne comprennent pas bien à quel point, en fin de compte, l'arrêt rendu est fin, cohérent et structuré.
En même temps, je comprends les réactions négatives à partir du moment où une approche superficielle est justifiée.

On a bien compris que le droit avait été respecté dans ce procès.
Néanmoins, les enjeux sont exceptionnels et on parle de l'ennemi de l'intérieur.
Le droit commun doit-il malgré tout s'appliquer à un individu comme Abdelkader Merah ?

Je suis effectivement persuadé que la criminalité terroriste dite "djihadiste" n'est pas une catégorie criminelle ordinaire. Elle mérite un traitement singulier et il est absurde de lui appliquer le regard judiciaire classique.
Néanmoins, une fois que le renvoi d'Abdelkader Merah avait été fait avec Maliki, on ne pouvait appréhender cette affaire qu'avec les règles procédurales et de preuves consubstantielles à cette cour d'assises.
Si, demain, notre démocratie décide de changer radicalement la structure des jugements criminels, pourquoi pas. Je lui souhaite bon courage tout de même, car il n'est pas évident de trouver un système qui satisfasse à la fois les politiques, les juges, les avocats et les citoyens.

Je pense que ce qui s'est produit depuis le 2 octobre a été un théâtre d'affrontements, d'émotions, d'empoignades, de douleurs et de provocations, mais c'est propre à toute cour d'assises. Le paroxysme a été ici atteint, parce que les crimes eux-mêmes ont atteint un paroxysme.
Il aurait été surprenant qu'il n'y ait pas tout cela.

Maître Dupond-Moretti s'est attiré les foudres des internautes, des observateurs, etc. Lui reproche-t-on d'avoir fait son travail ou en a-t-il trop fait ?

Il a fait son travail d'avocat avec le tempérament très singulier, talentueux et provocateur qui est le sien .
Il faut bien voir que lui-même n'a pas été épargné non plus pendant les débats.
Il a donc fait son travail.
D'aucuns disent qu'il a été indigne. Tout cela me paraît du vent. Il a fait son travail d'avocat.
Encore une fois, sa manière est inimitable. On peut le discuter, on peut le contester.

La cour d'assises, par l'arrêt rendu, n'a pas été étrangère et indigne du débat démocratique sur le terrorisme qui était au cœur de ces journées depuis le 2 octobre.
J'ai lu attentivement les motivations, je les trouve fines, cohérentes et presque trop fines par certains côtés pour l'approche massive et criminelle qu'on aime pour ce type de tragédie.

On verra ensuite ce que donnera le second procès.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 06/11/2017 à 8:40.
Philippe Bilger
Philippe Bilger
Magistrat honoraire - Magistrat honoraire et président de l'Institut de la parole

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