Nous connaissons par cœur - dans tous les sens - la veine "taubiresque" de ceux pour lesquels l'enfermement constitue une nuisance encore plus radicale que les crimes et les délits qui l'imposent.

Cette famille intellectuelle et politique ne cesse de déplorer le fait que la prison soit encore, paraît-il, "l'horizon indépassable" de la justice pénale. Elle se trouve majoritairement à gauche et à l'extrême gauche, mais une certaine droite ignorante et complexée n'est pas loin de lui emboîter l'esprit et la miséricorde.

On s'était habitué à ce catéchisme de l'humanisme exclusivement compassionnel à l'égard des victimes - pas les vraies, celles de la société. Pour cette perverse mansuétude, tout coupable n'est qu'un innocent qui s'ignore. Elle ne nous dérangeait plus, elle demeurait là comme une splendide naïveté dont elle n'avait pas à payer, elle, les conséquences désastreuses.

Ses effets délétères atteignent dorénavant le cœur de toute politique pénale. J'en veux pour preuve le programme que nous présentera le garde des Sceaux le 3 octobre : "Des pistes pour réformer la Justice".

Rien de bouleversant. Les nouveaux chemins que le président de la République a désiré emprunter durant sa campagne ne brillent pas par leur originalité, à suivre la réflexion du ministre et de ses services. On retombe dans ce qui rassure - les banalités qui sont à la disposition de tout garde des Sceaux et qu'il lui suffit de puiser dans le salmigondis homogène qui a le mérite d'être trans-partis : la référence au "temps long" (comme s'il avait l'éternité politique devant lui et que le quotidien ne pressait pas !), la numérisation, des groupes de travail, des déplacements dans les juridictions ou établissements pénitentiaires, l'aménagement des peines…

On aurait pu espérer une avancée, dans le projet judiciaire pourtant pauvre du candidat Macron, avec la focalisation mise sur "l'effectivité de la peine" qui est en effet le problème central et la faiblesse "désarmante" de l'univers pénal.

Mais, au moment même où cette exigence est rappelée et où on semble vouloir mettre tous les moyens au service de cette cause capitale - exécuter vite les sanctions et avec le minimum d'échecs -, on a droit de nouveau au sempiternel discours sur la prison. Comme si le souci était moins d'améliorer sa quotidienneté pour surveillants et prisonniers et ses conditions de sécurité que de mettre en cause son principe, sa nécessité.

Pour inventer une énième "révolution culturelle" croyant pouvoir substituer à ce qu'elle a souvent d'obligatoire et de protecteur "des alternatives à l'incarcération", comme si cette dernière était jouée aux dés par les magistrats et les juridictions et n'était pas, précisément, irremplaçable pour réprimer les délits et crimes les plus graves.

Ce qui, paradoxalement, constitue l'entrave la plus préoccupante à l'amélioration matérielle et humaine de la condition pénitentiaire globalement entendue - malgré la promesse de construction de 15.000 places de prison - tient au fait qu'on se persuade que la prison pourrait être abolie et qu'elle serait le mal absolu. Autrement dit, on ne se bat pas assez pour transformer sa réalité et son présent au nom d'un avenir réconcilié où elle aurait disparu. L'illusion freine le pragmatisme.

Toutes les politiques pénales, de gauche dogmatique ou de droite gangrenée par la mauvaise conscience, achoppent sur ce point. Pour que l'enfermement ne soit plus "un horizon indépassable", on décide de faire, contre toute lucidité, comme s'il n'était pas une contrainte impérieuse. On rêve d'un monde sans lui et on s'enferme dans des projets qui font l'impasse sur lui alors qu'il est, sans joie mais avec évidence, "incontournable".

Je continue à m'illusionner peut-être. L'intelligence et la sensibilité de la majorité des honnêtes gens ont-elles besoin en permanence de battre leur coulpe pour s'excuser de punir et d'emprisonner des coupables avec une mise à l'écart temporaire ou assez durable pour prévenir le renouvellement du pire ?

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28 septembre 2017 à 10:00

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