« Quand on mélange tout, on en vient à pénaliser le compliment et banaliser l’agression »

France 2 a décidé de renvoyer l'animateur Tex après sa blague qui a fait polémique sur C8, le 30 novembre dernier : "Les gars, vous savez ce qu’on dit à une femme qui a déjà les deux yeux au beurre noir ? On ne lui dit plus rien ! On vient déjà de lui expliquer deux fois !"

Gabrielle Cluzel, auteur d'Adieu Simone ! Les dernières heures du féminisme, donne son point de vue sur cette affaire.

Gabrielle Cluzel, après une polémique de plusieurs jours, le présentateur de l'émission « Les Z'amours » a été viré de son émission pour avoir fait une blague graveleuse sur le plateau d'une chaîne concurrente. Que pensez-vous de cette affaire ?

Je n'ai pas de raison particulière de défendre ce monsieur que je connais mal. À dire vrai, je n'aime pas beaucoup ce genre d'humour. Il est assez représentatif de l'humour trash et gras dominant dans les médias. Je préfère un humour plus fin qui égratigne, mais ne blesse pas.
Toutefois, si j'ai bien compris, il n'y avait pas d'attaque ad hominem. Cet humour joue sur la provocation, on en rit parce que c'est choquant et c'est choquant parce qu'on est conscient qu'il ne faut pas le faire. Ça n'incite pas forcément les gens à le faire. C'est le cas ici puisqu'il a fait une plaisanterie sur les violences faites aux femmes et autour des femmes battues.

Peut-on inscrire cet événement dans un mouvement plus global, à savoir cette espèce de frénésie actuelle de dénonciations, comme on a pu le voir par exemple avec le #balancetonporc ?

Il y a effectivement un climat propice à cela.
C'était peut-être une blague de mauvais goût. Pour autant, il y a d'autres humoristes qui sont sur le même registre. Ils ne font pas l'objet d'une chasse aux sorcières identique.
Je pense, notamment, à une humoriste belge qui s'appelle Julie Villers. Elle est passée sur France 2, sur Canal+, et jouait il y a un mois au Festival du théâtre pour rire dans les Côtes-d'Armor. Son spectacle s'appelle : "Je buterais bien ma mère un dimanche". C'est pas bien, ça ! Il ne faut pas buter sa mère ni un dimanche ni un autre jour de la semaine... Je pense que tout le monde le sait ! En tant que mère, je ne vais pas aller saisir une haute autorité en prétendant me sentir menacée. Je crois qu'il faut quand même un petit peu arrêter le sketch, et le deux poids deux mesures.

Par ailleurs, si on veut vraiment répondre à la question des violences faites aux femmes et les éradiquer, il y a un autre moyen bien plus efficace. En toile de fond, il y a une réalité qui s'impose : il s'agit de la force physique. La femme est donc perdante dans une société où règne la loi du plus fort. Pourtant, on ne fait rien contre le laxisme judiciaire. Jusqu'à présent, ce que proposait par exemple Christiane Taubira, grande féministe devant l'Éternel, ne faisait rien contre cela. Il n'y avait pas de condamnations réelles.

Cette agitation féministe et ces cris d'orfraie me laissent assez sceptique. On est plutôt dans l'effet d'annonce et la chasse aux sorcières.

On a l'impression de découvrir tout à coup que ce problème existe ? N'est-ce pas un peu hypocrite finalement ?

C'est en effet un manque de respect notoire qui a moult explications. Mais ce n'est pas nouveau. Quand Bedos écrivait son sketch "Toutes des salopes", ce n'était pas forcément un compliment respectueux pour les femmes. Quand Nicolas Bedos, son fils (pour rester dans la famille), traitait une étudiante de "petite pute" sur un plateau télévisé, personne ne s'en offusquait. Nicolas Bedos a longtemps été un chroniqueur chez Elle.
On a maintenant l'impression que c'est le grand déballage. La vindicte populaire a toujours quelque chose de gênant.
À côté de cela, quand même, il y a de vrais agresseurs et de vraies raisons d'accuser certains.
Seulement, quand on finit par tout mélanger, les petites vannes maladroites, ou les compliments lourdauds, et les vraies agressions...
On en vient, finalement, à pénaliser le compliment et à banaliser la véritable agression.

Gabrielle Cluzel
Gabrielle Cluzel
Directrice de la rédaction de BV, éditorialiste

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