Nuit d’Halloween : à cause du défaitisme de l’État

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Le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner nous déclare qu'"il y a eu une centaine d'interpellations pour la nuit d'Halloween avec un nombre d'incidents largement inférieur à celui des années précédentes et des dégâts bien moindres même s'ils demeurent totalement anormaux et scandaleux".

Et je parie qu'il nous tiendra les mêmes propos pour la nuit de la Saint-Sylvestre à venir.

Pourquoi s'accommode-t-on du pire au prétexte qu'on a connu pire ?

À cause du défaitisme de l'État qui n'envisage même plus que les atmosphères festives puissent se dérouler paisiblement, normalement.

Dans l'univers pénitentiaire, le grand débat porte sur l'installation et l'usage de téléphones alors que la condition des personnels et les violences qu'ils subissent sont préoccupantes au plus haut point et que les condamnés n'ont pas à être consolés pour leur enfermement.

Pourquoi se détourne-t-on du pire au prétexte qu'il y aurait mieux, et du plus facile, à faire ?

À cause du défaitisme de l'État qui n'a même plus le courage d'assumer les légitimes conséquences d'une justice pénale qui n'est de loin pas la plus sévère en Europe.

Depuis plusieurs années, un basculement grave s'est opéré qui ne confronte plus seulement la société à des transgressions et malfaisances délictuelles ou criminelles mais à d'insupportables violences contre ceux qui ont pour mission d'assurer l'ordre, de relayer l'autorité des pouvoirs publics et de veiller à la tranquillité de tous. Auparavant, on frappait, on blessait, on tuait, bien sûr, hélas, mais le nouveau sport national est de frapper, blesser et tuer les gardiens de notre paix. De s'en prendre à la police.

Pourquoi accepte-t-on le pire au point de favoriser, dans certains lieux et certaines cités, une appropriation, par des minorités sûres de leur impunité, de l'espace et du sort des honnêtes gens impuissants et désarmés ?

À cause du défaitisme de l'État qui n'ose même plus rêver d'une France vigoureuse et redressée parce qu'il serait épuisant d'exercer son autorité partout et toujours.

Pourquoi ne s'émeut-on qu'à la suite d'un incident plus grave que d'autres de ce qui se déroule dans les établissements scolaires, de ce qui mine l'enseignement et, parfois, le fait ressembler à un parcours du combattant et de la frilosité de toutes les hiérarchies ?

À cause du défaitisme de l'État qui a abandonné sa mission et ainsi amplifié une culture de l'irresponsabilité générale consistant, pour les familles défaillantes, à tout attendre de l'école, elle-même espérant en l'institution judiciaire, clairement en crise de légitimité et d'autorité pour, en définitive, incriminer la société, ce qui revient à ne plus rien faire.

Pourquoi, contre l'exigence de la morale publique qui appellerait impartialité et efficacité, trop souvent le pouvoir donne-t-il l'impression de faire preuve d'indulgence pour ses amis et de sévérité pour ceux qui ne le sont pas ?

À cause du défaitisme de l'État qui s'est résigné à ne percevoir l'éthique politique et ses dérives plus comme un thème de discours et une dénonciation opportuniste que pour un combat sans merci à mener au nom de la démocratie.

Je pourrais continuer sur cette veine et il me serait facile d'égrener tout ce qui, dans notre République, transmet aux citoyens un message délétère : l'État ne croit plus à ce qu'il raconte puisqu'il se garde bien, avec une énergie paradoxale, de tenter d'incarner ces valeurs et ces principes d'ordre, d'autorité et de justice.

Ce serait tellement compliqué. Et il faut dire que, de tous les côtés, on avalise son incurie.

Les sociologues patentés nous affirment que c'était beaucoup plus grave avant et, donc, il ne faut surtout pas se plaindre.

Les humanistes compulsifs alertent sur le fait qu'une démocratie vigoureuse et se faisant respecter deviendrait du fascisme, du populisme à la mode française. Comme, paraît-il, le choix ne serait qu'entre une République molle et un Rassemblement national "non républicain", il serait seulement décent de prendre parti pour la première sans s'aventurer à rêver d'une démocratie miraculeusement vertébrée pour tous et à tout instant.

Le défaitisme de l'État est, en effet, le premier scandale, mais qu'importe puisque rien ne viendra rompre le cours de notre chute, aussi accablés que nous soyons, mais ceux qui nous gouvernent étant tellement résignés qu'ils s'accommodent tristement, pour la France, du moins pire.

Philippe Bilger
Philippe Bilger
Magistrat honoraire - Magistrat honoraire et président de l'Institut de la parole

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