Moyen-Orient : il faut contenir la toute-puissance militaire irano-syrienne

Tanneguy Roblin : « Il reste encore une présence forte de Daech en Irak et en Syrie »

Voilà plusieurs mois que le régime de Bachar el-Assad reprend du terrain en Syrie et semble remporter la guerre qu'il mène depuis 2011 face aux différents groupes de rebelles. Mais qu'en est-il réellement ? Gagner des batailles et conquérir des villes après les avoir rasées avec l'appui d'une armée (Russes) et d'une milice (Hezbollah libanais) étrangères ne peut en aucun cas être considéré comme une victoire définitive.

Les apparences sont trompeuses, 70 % de la population en Syrie est sunnite et viscéralement opposée au régime tenu par la secte alaouite (8 % des Syriens). On peut même affirmer qu'au moins le trois quarts de cette majorité sunnite préfèrent être gouvernés par des islamistes plutôt que par le régime actuel. "Les pauvres populations civiles libérées de l'État islamique" ne sont qu'une fable vendue à l'opinion publique occidentale friande de ce genre d'idée rassurante. Le problème d'Assad et des Russes est que leur victoire n'est que de court terme. Une fois achevée, les attentats et soulèvements armés reprendront de plus belle, et la Syrie ressemblera à l'Irak pour le régime et à l'Afghanistan pour les Russes…

On ne fait pas disparaître des millions d'islamistes par un coup de baguette magique. On peut juste les terrifier et c'est à cela que servent les bombardements aux armes chimiques. Mais ce genre de terreur peut neutraliser les envies d'en découdre comme les encourager, et c'est plutôt cela qui se produit, avec un sentiment de "plus rien à perdre", de "dos contre le mur".

Se demander s'il y a eu utilisation d'armes chimiques par le régime la semaine dernière en Syrie est totalement inutile. Les admirateurs de la Russie vous diront que non, par principe, au mieux en demandant des preuves que leur champion fait précisément en sorte que l'on n'ait pas, au pire, ils nient l'évidence tel un révisionniste de l'Histoire. Face à eux se trouvent les éternels donneurs de leçon qui adorent jouer au gendarme du monde à la première image ou vidéo de cadavres dont on ne connaît rien. Peu importe quand et comment, il n'est un secret pour personne que le régime syrien ne s'est pas débarrassé de son arsenal chimique et l'utilise occasionnellement. Faut-il aller le bombarder pour autant ? C'est la vraie question. Assad tue sa population civile ? Non, il tue des populations civiles et militaires qui veulent faire disparaître son peuple (alaouite). Il utilise des armes interdites ? Oui, mais il n'est pas le seul à le faire dans le monde. Et puis, quelle est l'efficacité des frappes aériennes contre ce régime ? Nulle : ces frappes ne servent à rien, elles sont plutôt destinées à l'opinion publique occidentale, voire à améliorer l'image de ceux qui les ordonnent auprès de leur propre population.

En effet, le destinataire de nos bombardements est prévenu à l'avance et les cibles visées sont généralement sans grand intérêt. C'est du spectacle. Le régime syrien en sort renforcé en jouant la victime de l'agresseur occidental et ses capacités militaires sont presque intactes.

Alors, faut-il laisser la Russie et son allié mener la guerre comme ils l'entendent en Syrie ? Certainement pas, parce que, tout simplement, la Syrie n'est pas notre allié et ne le sera jamais, et que la Russie n'a pas les mêmes intérêts ni les mêmes amis que nous dans la région. À nous, donc, de rééquilibrer les forces en soutenant nos alliés historiques, en intervenant en leur faveur afin de contenir la toute-puissance militaire irano-syrienne et en négociant avec les Russes un partage d'influence régionale équilibré.

Richard Haddad
Richard Haddad
Historien et politologue - Spécialiste du Moyen-Orient - Directeur des éditions Godefroy de Bouillon

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