"Notre pays va mieux", déclarait, hier, Christophe Castaner, bien carré dans son fauteuil, au Figaro. "Mieux", cela ne veut pas dire "bien". C’est le moins que l’on puisse dire. Car un pays va-t-il bien lorsque des milices gauchistes ravagent les rues de Paris ? Lorsque, au final, ces exactions trouveront très probablement leur conclusion judiciaire par une poignée de condamnations avec sursis ? Un pays va-t-il bien lorsque Castaner, ministre de la République, ose renvoyer dos à dos Génération identitaire et Black Blocs, comme l’avait fait, du reste, la veille, son double niçois, Christian Estrosi ? Un pays va-t-il bien lorsque des voyous vandalisent un monument aux morts, en l’occurrence celui de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm à Paris ?

En effet, mercredi soir, à l’issue d’un colloque, la prestigieuse école a été occupée par des « bloqueurs » en protestation contre le projet de réforme de l’accès à l’université. Jeudi matin, l’administration et les élèves ont découvert que non seulement des murs de l’établissement avaient été recouverts de graffitis à la mode de Tolbiac, mais que le monument aux morts, lui aussi, avait été – osons le mot - profané. "À nos morts, tués par votre police", y lit-on.

Bien sûr, il faut espérer que, parmi ces vandales, ne se trouvait aucun élève de l’école. Car les élèves de l’École normale supérieure sont les héritiers des 239 élèves et anciens élèves tombés au champ d’honneur durant la Première Guerre mondiale et dont les noms sont inscrits sur ce monument par ordre de promotion.

Un monument qui fut inauguré en 1923, deux ans avant que l’école ne soit décorée de la croix de guerre avec cette citation : L’École normale supérieure a fourni dans les réserves une brillante phalange de cadres, spécialement instruits pour l’infanterie, qui se sont sacrifiés sans compter et dont la haute valeur intellectuelle et morale, l’esprit d’initiative et de devoir ont collaboré glorieusement aux triomphe de nos armes." » Plus de la moitié de ces normaliens morts durant la Grande Guerre appartenaient aux promotions entrées entre 1910 et 1914, et plus de la moitié des élèves de ces promotions d’avant-guerre furent tués durant le conflit. C’est donc un lourd tribut que paya cette école comme, du reste, toutes les grandes écoles : Polytechnique, Saint-Cyr, évidemment… Le lourd tribut de ceux qui étaient appelés à devenir l’élite de la nation à l’époque : "Épis murs et blés moissonnés", pour reprendre les mots du poème de Charles Péguy.

Et justement, presque en haut de ce monument, à la neuvième ligne, un nom et une date : "Péguy 1894". Né en 1873, Charles Péguy intégra Normale en 1894. Mobilisé en 1914, avec le grade de lieutenant, il est tué d’une balle en plein front, le 5 septembre, près de Villeroy (Seine-et-Marne), à la veille de la bataille de la Marne. Il serait mort en s’exclamant : "Oh mon Dieu, mes enfants !" Il avait 41 ans mais, pourtant, avait insisté pour ne pas être versé dans la territoriale et servir en première ligne.

En gribouillant le monument aux morts de la rue d’Ulm, c’est en quelque sorte notre mémoire nationale qui est insultée. "Ça ne fait que commencer", pouvait-on lire sur une banderole de ces fameux « bloqueurs ». On aimerait que cela se termine rapidement. Non, décidément, quoi qu'en dise le satisfait de Forcalquier, notre pays ne va pas mieux.

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03 mai 2018 à 18:52

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