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Durant le mois d’août, Boulevard Voltaire fait découvrir à ses lecteurs un livre récent que la rédaction a apprécié. Chaque jour, un nouvel extrait est publié. Cette semaine, Le Moment populiste. Droite-gauche, c’est fini !, d’Alain de Benoist.

On a par ailleurs assisté à la quasi-disparition des familles sociologiques, où l’on votait de la même façon de génération en génération. Encore au milieu des années 1960, plus on était catholique, plus on votait à droite ; et sur le plan social, plus on s’identifiait à la classe ouvrière, et plus on votait à gauche. Ce n’est plus le cas depuis longtemps. La volatilité électorale n’a cessé de s’accentuer – et c’est au point qu’il n’est plus rare de rencontrer des gens qui, au cours de leur vie, ont pratiquement voté pour tous les partis. En 1946, François Goguel avait calculé qu’entre 1877 et 1936 l’équilibre des forces entre l’ensemble des droites et le rassemblement des gauches n’avait jamais varié en France de plus de 2 %. Aujourd’hui, on sait que 17 % des électeurs d’extrême gauche des législatives de 1986 ont voté pour un parti de droite au premier tour de l’élection présidentielle de 1988, que 60 % des électeurs de François Mitterrand en 1988 se sont refusés à voter socialiste en 1993, et que près de quatre millions d’électeurs ont changé de camp dans les six mois qui ont précédé l’élection présidentielle de 2012. D’après une étude de l’Institut Elabe publiée en août 2016, la proportion de Français qui se déclarent « sans préférence partisane » progresse régulièrement, en particulier chez les jeunes (36 %), les ouvriers (37 %) et les employés (38 %), tandis que seuls 14,1 % des personnes interrogées se sentent proches du PS et 16,4 % des Républicains, soit un total de 30,5 % pour les partis de gouvernement, dans lesquels les deux tiers des Français ne se reconnaissent donc plus. […]

À l’époque de Giscard, certains s’en étaient réjouis, au nom des bienfaits du « consensus » – ce consensus qu’Alain Minc n’a pas hésité à assimiler à un « cercle de raison ». Ils avaient tort. D’abord parce que la démocratie, ce n’est pas l’extinction du conflit, mais le conflit maîtrisé. Pour qu’une société politique fonctionne normalement, un consensus doit évidemment s’établir sur le cadre et sur les modalités du débat. Mais si le consensus fait disparaître le débat lui-même, alors la démocratie disparaît du même coup, parce qu’elle implique par définition, sinon la pluralité des partis, du moins la diversité des opinions et des choix, en même temps que la reconnaissance de la légitimité d’un affrontement entre ces opinions et ces choix. Cela signifie que, contrairement à ce que croient les tenants d’une démocratie « non partisane » ou « de bonne gouvernance », la démocratie n’est pas soluble dans le procédural, car elle est de forme inévitablement agonistique. Si les partis ne sont plus séparés que par des différences programmatiques insignifiantes, si les factions concurrentes mettent en œuvre fondamentalement les mêmes politiques, si les unes comme les autres ne se distinguent plus ni sur les objectifs ni même sur les moyens de les atteindre, bref si les citoyens ne se voient plus présenter d’alternatives réelles et de véritables possibilités de choix, alors le débat n’a plus de raison d’être et le cadre institutionnel qui lui permettait d’avoir lieu devient une coquille vide dont on ne peut s’étonner de voir une majorité d’électeurs se détourner. Le prix du « consensus », c’est la désertion civique.

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09 août 2017 à 14:29

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