Pour mieux comprendre la crise iranienne

En Iran, les troubles se suivent mais ne se ressemblent pas. En 2009, ceux causés par la réélection de Mahmoud Ahmadinejad étaient principalement le fait d’une jeunesse estudiantine et urbaine. À l’époque, le gouvernement avait, non sans raisons, dénoncé des influences étrangères. Aujourd’hui, même si des pays tels que les États-Unis ou Israël se félicitent très logiquement de la dégradation de la situation, ils n’y sont pour rien - ce que reconnaît d’ailleurs implicitement Téhéran.

La seule ingérence étrangère à ce jour à peu près avérée ? Celle des moudjahidines du peuple, secte terroriste d’obédience islamo-marxiste que l’Arabie saoudite aurait chargée d’entretenir "un climat d’insécurité", pour reprendre les propres termes du général iranien Rassoul Sanaïrad.

Ainsi, ces manifestations ayant causé plus d’une vingtaine de morts, dont plusieurs policiers, sont-elles d’une nature autrement moins politique, les slogans concernant principalement chômage grandissant, hausse des prix record et corruption endémique. Au contraire de 2009, elles ont démarré dans les villes de province, la capitale étant, pour le moment, relativement épargnée. Pareillement, ce mouvement qui ne s’incarne pas en la figure de tel ou tel opposant n’est pas, non plus, porteur de revendications d’ordre plus sociétal, malgré la photo glamoureuse d’une Iranienne dévoilée ayant fait le tour des réseaux sociaux.

Pour le moment, le président Hassan Rohani tente donc de temporiser. Dans le Tehran Times du 31 décembre, il confirme ainsi que "manifester est un droit constitutionnel" et admet que "les problèmes sociaux et économiques auquel l’Iran est confronté ne sont pas aisés à résoudre et que tout cela prendra encore du temps". Le lendemain, Hassan Rohani affirme même qu’il "faut écouter les manifestants" et qu’il s’agit là aussi "d’une occasion permettant de mieux cerner les futures mesures à prendre".

De fait, la politique reprend ses droits. Et Delphine Minoui, l’une des meilleures spécialistes françaises de la question, de noter dans Le Figaro : "Ironie de l’histoire, la faction conservatrice du régime – que certains analystes disent être à l’origine de ces manifestations pour discréditer le président Rohani – semble aujourd’hui dépassée par un mouvement qu’elle pensait contrôler." Ce que confirme, par ailleurs, Karim Pakzad, chercheur à l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques), à l’occasion d’un entretien accordé à L’Express.

Alors, l’ayatollah Khamenei pourrait-il connaître le funeste sort du chah d’Iran, en 1979 ? Plus qu’improbable. Tout d’abord, parce qu’au contraire de Reza Pahlevi, Ali Khamenei n’a pas été mis au pouvoir par les Américains. Ensuite parce que toute « imparfaite » qu’elle est, la démocratie iranienne demeure une démocratie. Au fait, qu’est-ce qu’une démocratie « parfaite » ? Plus inquiétant pour le régime, en revanche, cette remarque de la même Delphine Minoui :

Dans un discours prononcé au temps de la “vague verte” de 2009, Saeed Ghassemi, vétéran des Gardiens de la révolution iranienne, s’accorda une remarque qui mérite d’être relue à la lumière des manifestations de ces derniers jours : il y aura, déclara-t-il à l’époque, raison de s’inquiéter le jour où le Sud populaire de Téhéran se réveillera et retirera son soutien au Guide suprême, l’ayatollah Khamenei.

L’Iran n’en est certes pas là, mais c’est bien là qu’avait commencé la chute du chah, dans le bazar de Téhéran et dans les provinces, pour des raisons politiques, mais également économiques. Lesquelles sont également à prendre en compte, tel que le remarque, dans les colonnes de L’Orient-Le Jour, l’avocat Shirin Ebadi, lauréate du prix Nobel de la paix en 2003, qui enseigne le droit à l’université de Téhéran : "La fin de certaines sanctions liées à l’accord sur le nucléaire avec l’Europe et les États-Unis en 2015 n’a pas apporté des bénéfices réels à la population, contrairement à ce que beaucoup attendaient."

Après avoir misé avec succès sur son leadership politique, militaire et diplomatique dans la région, l’Iran va donc devoir se reconcentrer sur ses problèmes intérieurs. Le régime a déjà relevé pires défis. Soit le moment ou jamais, pour les Perses, de se rappeler que ce sont eux qui ont créé le jeu d’échecs.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 09/01/2020 à 18:11.
Nicolas Gauthier
Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

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