Meurtre de Sarah Halimi : l’expertise qui offre une chance de se manifester à la vérité

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Le 4 avril 2017, à Paris dans le 11e arrondissement, Sarah Halimi a été défenestrée en pleine nuit après avoir été frappée très violemment par Kobili Traoré, un voisin de 27 ans, qui criait "Allahou Akbar" et la traitait de "sheitan" (diable, en arabe) "parce qu'elle était juive" (Le Monde).

À la suite de cette tragédie, la communauté juive s'était émue du relatif silence médiatique et du fait que l'antisémitisme, selon elle au cœur de ce crime, était quasiment occulté. Des intellectuels lui avaient apporté leur soutien, déplorant la lenteur de la Justice et s'étonnant que l'agresseur ne soit pas encore jugé.

Tout en partageant leur émotion, je ne pouvais valider leur ignorance puisque, une information ayant été ouverte pour homicide volontaire et Kobili Traoré mis en examen et incarcéré depuis la mi-juillet, il convenait d'attendre le rapport d'expertise psychiatrique - obligatoire en matière criminelle - qui indiquerait le degré de responsabilité de ce dernier, d'autant plus qu'il avait été interné d'office après son interpellation. Il n'y avait donc nul atermoiement ou processus dilatoire, même si on pouvait discuter, alors, l'absence de la circonstance aggravante d'antisémitisme dans l'incrimination.

Au bout de cinq mois, le rapport de Daniel Zagury, expert dont personne ne discute la science, l'expérience, la finesse, la liberté et l'honnêteté, vient d'être remis au magistrat instructeur. Il semble répondre de manière convaincante aux interrogations légitimes et inévitables sur l'état mental de Kobili Traoré au moment de la commission de son acte. D'autant plus qu'après avoir laissé planer le doute, il ne semble pas qu'une demande de contre-expertise va être déposée par les conseils de la famille Halimi. Elle aurait été, au demeurant, tactiquement dangereuse.

Daniel Zagury conclut que la responsabilité pénale du mis en examen n'est pas abolie mais seulement altérée. Par conséquent, il pourra être jugé par une cour d'assises. L'expert, dans son analyse, évoque "une bouffée délirante aiguë... induite par l'augmentation de la consommation de cannabis - dix à quinze joints par jour".

J'incline à croire que cette responsabilité seulement partielle mais cependant indiscutable va soulager ceux qui pouvaient craindre une conclusion d'irresponsabilité empêchant toute comparution.

Cependant, un autre point capital a été abordé par Daniel Zagury. Celui de l'antisémitisme de Traoré. Pour l'expert, il est rare qu'un acte soit à la fois délirant et antisémite. "Sans qu'il lui appartienne de se prononcer sur la qualification d'une infraction", son analyse s'efforce de relever la part du délire diabolique - la croyance folle en un diable et à son incarnation - dans l'inspiration décisive du crime, ou celle de la haine antisémite.

Selon que les magistrats choisiront la première ou la seconde branche de l'alternative, la qualification ne retiendra pas ou retiendra la circonstance aggravante d'antisémitisme. Ce qui, dans le premier cas, reviendrait seulement à souligner que l'antisémitisme sans doute indiscutable de Traoré n'a pourtant pas été la cause exclusive de son acte.

Antisémitisme chez lui - selon ses cris de fureur - mêlant Allah et le diable qu'aurait été sa victime. Alors qu'il en est un autre, comme dans l'agression de Livry-Gargan, qui reprend la stigmatisation "ordinaire" du juif (ils ont de l'argent...) et qu'il existe enfin un antisémitisme "politique" lié à l'insoluble conflit du Moyen-Orient, sans qu'il faille pourtant accuser tout adversaire de l'État d'Israël ou du sionisme d'être forcément antisémite.

Je ne sais pas quelle sera l'issue de la procédure ni la peine qui sanctionnera le crime de Kobili Traoré. Ce qui m'importe, avec ce billet, est de démontrer que, quelle que soit l'horreur, rien n'est simple et que précipiter le mouvement au nom d'une indignation trop souvent ignorante serait une mauvaise démarche.

Il est heureux qu'un Daniel Zagury ait offert, à sa place et avec les limites qu'il s'assigne, une chance de se manifester à la vérité et à la Justice.

Philippe Bilger
Philippe Bilger
Magistrat honoraire - Magistrat honoraire et président de l'Institut de la parole

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