Pourquoi les meilleurs étudiants se détournent du CAPES

Un article publié sur le site EducPros, le 6 juillet 2017, secoue l’attention par ce titre alléchant : "Exclusif. Les méthodes du jury du Capes pour recruter le plus de profs de français possible." De quoi séduire les plus pessimistes, qui prennent un plaisir quasi morbide à dénoncer la baisse de niveau, non seulement des élèves, mais aussi de leurs professeurs. Au lieu de s’interroger sur les moyens de le relever.

On apprend ainsi que, pour pallier la crise du recrutement en lettres modernes – mais le mal atteint aussi d’autres disciplines –, les jurys du CAPES seraient contraints – par le ministère ? – à une indulgence qui toucherait au laxisme : quotas d’admissibles et de reçus, notes rehaussées et autres méthodes artificielles pour recruter un pourcentage décent de nouveaux professeurs.

Il faut se méfier des enquêtes qui reposent sur les témoignages de quelques membres du jury, dont on ne peut savoir s’ils représentent vraiment l’opinion générale. Le rapport du concours 2016 reconnaît, pour sa part, "la qualité de beaucoup de prestations, qui augurent du recrutement de bons professeurs" mais regrette qu’un grand nombre de candidats "souffrent d’un manque cruel de connaissances de base en grammaire" : ce qui met en cause, non le fonctionnement du concours, mais l’enseignement et les programmes antérieurs.

Depuis quelques années, dans plusieurs disciplines (lettres modernes, mais aussi lettres classiques, allemand, anglais, mathématiques), tous les postes offerts au concours ne sont pas pourvus. Preuve que les jurys, qui sont souverains, ne sont pas laxistes. Au demeurant, entre les premiers admis, qui auraient pu tenter directement l’agrégation, et les derniers de la liste, il a toujours existé une grande différence de niveau.

Il peut arriver, pour la correction des épreuves écrites, qu’on demande à un binôme de relever ses notes si sa moyenne est très inférieure à celle des autres correcteurs. C’est une forme d’harmonisation qui n’est que justice et ne change rien aux résultats, le CAPES n’étant pas un examen mais un concours. Si des jurys, en fixant la barre d’admissibilité, décident de recevoir plus de candidats, c’est pour avoir plus de possibilités de recruter les meilleurs, lors des épreuves orales d’admission.

La crise du recrutement est une réalité, mais il faut en distinguer les véritables causes.

C’est d’abord le manque d’attractivité du métier de professeur, dû aux faibles rémunérations, surtout en début de carrière, aux premières affectations que beaucoup ressentent comme un exil ou une punition, aux défaillances des ressources humaines qui fonctionnent comme une mécanique implacable, ne tenant aucun compte des qualifications et des compétences.

C’est aussi la formation en ESPE qui, d’après les témoignages de nombreux stagiaires, est inadaptée, infantilisante, dogmatique, au lieu de préparer les futurs professeurs à faire passer à leurs élèves leur amour de leur discipline. Ce sont les théories pédagogiques fumeuses qu’on veut leur imposer et qui supplantent la maîtrise des savoirs, jusque dans les épreuves des concours – et ce, malgré la résistance des jurys.

Accuser les jurys d’être trop laxistes est non seulement contraire à la vérité, mais contre-productif. C’est apporter de l’eau au moulin des adversaires des concours qu’ils voudraient remplacer par des certifications beaucoup moins objectives, fondées sur le conformisme idéologique et pédagogique. On ne s’étonnera pas que les meilleurs étudiants, qui brillent dans leur discipline et la passion de la transmettre, se détournent de cette normalisation.

Philippe Kerlouan
Philippe Kerlouan
Chroniqueur à BV, écrivain, professeur en retraite

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