Marion Cotillard a « bravé la neige » ; les gilets jaunes aussi, mais pas pour assister aux défilés Chanel…

Marion Cotillard Paris Match 2019-01-26 à 11.05.44

Nous parlons souvent du décalage qui existe et qui ne cesse de grandir entre la réalité d’une manière générale, a fortiori la réalité quotidienne des Français, et le milieu médiatique qui vivote en vase clos et organise sa propre réalité, son propre univers mental, visuel et esthétique d’après les codes auxquels il a décidé d’adhérer. Il est fondamental de comprendre ce dernier point : les médias sont coupés du monde réel par choix, notamment parce qu’ils ont acquis avec le temps une sorte de sentiment de supériorité qui leur interdit maintenant de se mêler à la plèbe.

Comme quiconque est investi d’un pouvoir, le journaliste entend le conserver, et pour ce faire, il érige entre lui et le reste du monde une barricade d’autant plus infranchissable par le gueux qu’elle est protégée par le pouvoir politique. On ne peut comprendre la machine médiatique que lorsque l’on a compris que les journalistes ne s’adressent pas au peuple mais à une frange particulière seulement de la population : les élites qu’ils flattent, la haute société qu’ils courtisent, les riches qu’ils rassurent, les stars qu’ils caressent, les politiciens qu’ils contribuent à faire et à défaire. Le peuple, lui, hélas tellement naïf et si peu conscient des enjeux, s’est conformé à cette configuration et accepte docilement le rôle qu’on lui a assigné, notamment en consommant de la presse et du média.

Et c’est précisément parce qu’il s’est trop conformé à ce schéma que le peuple peut, aujourd’hui, se faire envoyer au visage des articles invraisemblables, affublés de titres directement importés de la quatrième dimension, sans que l’envie lui prenne de boycotter intégralement la presse. Ce 22 janvier 2019, Paris Match nous a gratifiés de l’un de ces moments surréalistes. Le journal nous apprend (mais pourquoi ?) que Marion Cotillard, et d’autres « stars » comme Kristen Stewart, ont "bravé la neige pour assister aux défilés Chanel". La belle affaire ! Pas certain que le Français moyen qui, lui aussi, brave la neige à 6 h 00 du matin et gratte le pare-brise de sa voiture d’occasion pour s’en aller à l’usine ou au bureau, soit particulièrement impressionné par le courage de Cotillard. Pas certain, non plus, que les dizaines de milliers de gilets jaunes qui ont passé l’hiver dans des baraquements de fortune sur les ronds-points, bravant non seulement la neige mais aussi la pluie, le froid, la nuit, l’incertitude et la précarité, et que les médias ont méprisés, voient dans les starlettes chouchoutées par Chanel et Paris Match un équivalent à leur propre sort.

Et, à la limite, peu importe parce que ce n’est pas un concours. Le vrai problème que cela pose est, encore et toujours, celui de la déconnexion entre les médias et les Français. Le fait que Paris Match produise un tel article, avec un tel titre, en plein désordre social, montre à quel point ces gens vivent dans une bulle. Le luxe existe, les stars aussi, mais un monde dans lequel un titre comme celui de Paris Match est possible est un monde qu’il faut combattre.

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