Comme vous, chers confrères journalistes, je déplore de voir se suivre et se ressembler les sondages montrant notre crédibilité en baisse aux yeux des Français. Comme vous, je m’attriste, sur les réseaux sociaux, de nous voir appeler de façon fort peu aimable "journaleux" ou même, carrément injurieuse, "journalope".

Néanmoins, ne devrions-nous faire notre examen de conscience avec plus d’application ? Et peut-être pratiquer le « Qui-est-ce », jeu d’observation destiné originellement à la tranche des 6-8 ans, mais qui nous permettrait de développer avec profit notre sens de la déduction ?

Prenons un exemple simple : imaginons un événement qui réunirait Giscard d’Estaing, Hollande et Sarkozy. Évoquerions-nous une manifestation d’hommes mûrs en costume sombre, un rassemblement de chauves confirmés ou en devenir, un rendez-vous de porteurs de Rolex ou, en nous creusant la tête, trouverions-nous - eurêka-sapristi-bon-sang-mais-c’est-bien-sûr ! - un autre point commun pour les désigner collectivement ?
Continuons : pour illustrer astucieusement notre propos, choisirions-nous un tableau de colchiques dans les prés, un cliché d’Obama, Clinton et Carter réunis… ou une photo de Valéry, François et Nicolas, nos ex-Présidents chéris ?

Alors, pourquoi ne traite-t-on pas avec la même simplicité tous les autres sujets ?

Samedi, toute la presse bruissait des ces deux mariages à Annecy qui, ayant dégénéré, ont conduit la police à dresser 70 PV et retirer 72 points de permis. Europe 1 évoque pudiquement "une pagaille" et met une jolie photo d’art : deux jeunes mariés y échangent langoureusement un baiser sur fond de dôme des Invalides (Annecy, Paris, ça rime, on ne va pas chipoter). Mais que s’est-il passé ? Le bouquet de la jeune épousée a-t-il éborgné un passant, la traîne fait glisser une vieille dame, le riz aveuglé un cycliste ?

20 Minutes parle d'"une cinquantaine d’automobilistes [ayant] commis des infractions". De sympathiques terrasses ensoleillées illustrent le propos. Sans doute parce qu’il suffisait d’aller tranquillement à l’écart prendre un Coca pour éviter de voir tout ça.

D’autres sites, plus téméraires, rajoutent un qualificatif obscur : "communautaire". Il s’agissait de "mariages communautaires". Parce qu’il existerait des mariages qui ne réunissent pas une communauté - familiale ou amicale - et où l’on irait comme dans le festin des noces de l’Évangile chercher au hasard des invités dans la rue ?

Le Point, enfin, qui n’a vraiment peur de rien, lâche le mot : il s’agit de "deux mariages célébrés au sein de la communauté turque d'Annecy", et appuie son propos… d’un portrait de jeunes mariés semblant droit sortis de Saint-Germain-des-Prés. Comprenne qui pourra. C'est-à-dire sans doute fort peu de monde.

Oui, pourquoi ne pas dire les faits tels qu’ils sont ? Pourquoi tourner autour du pot, essayer de faire prendre des vessies pour des lanternes ou de les dissoudre dans un grand flou qu’on conviendrait d’appeler vessernes ou lanties, comme si tout le monde ne savait pas qu’en France, le tapage nuptial ne va guère plus loin que le klaxon du tonton derrière la voiture enrubannée, et que personne ne s’aviserait d’appeler les gendarmes pour ce bête pouët-pouët ?

Albert Londres recommandait au journaliste de porter la plume dans la plaie. Pas de la couvrir discrètement d’une grande couche de Tipp-Ex®… qui, pire qu’un journaleux ou une journalope, fait de vous un journalown : avec un gros nez rouge.

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08 octobre 2018 à 19:26

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