Quatre ans déjà. Le 7 janvier 2015, les frères Kouachi assassinaient douze personnes, dont onze à l’intérieur des locaux de Charlie Hebdo, parmi lesquels Cabu, Wolinski, Honoré, Tignous, Charb et Bernard Maris.

La rédaction de Charlie Hebdo vient de publier un numéro spécial. Sur la couverture, un évêque et un imam soufflent une bougie. Une bougie censée éclairer le fameux "Tout est pardonné".

Non, vous ne rêvez pas, un évêque. Mais que vient-il faire là ? Que signifie cette supposée coresponsabilité ? Un des assassins avait-il été récemment baptisé ? L’un des frères Kouachi s’était-il secrètement converti ?

La bonne blague. À condition d’aimer l’humour noir et, surtout, se faire prendre pour une poire. On veut bien faire montre, envers la rédaction décimée, de compassion mais leur peine n’est pas un blanc-seing pour toutes les élucubrations.

Si les victimes de Charlie Hebdo, visées pour leur « blasphème », sont bien à plaindre, d’autres ne le sont pas moins qui ont été tuées, elles, au nom de leur foi : le père Hamel, bien sûr, mais aussi tant d’anonymes à travers le monde ces dernières années, en Syrie, en Irak, en Égypte, au Nigeria…

Selon l’ONG Open Doors, plus de 3.000 chrétiens ont été sauvagement assassinés, entre novembre 2016 et octobre 2017, "pour des raisons liées à leur croyance", et "215 millions" persécutés de façon "forte ou extrême". On attend incessamment les chiffres de 2018.

Après le théâtre de l’absurde, la presse de l’absurde. Entre Kafka et Ionesco, la victime se retrouve sans comprendre au banc des accusés avec, pour seule pièce à conviction, le syllogisme du rhinocéros déclinable à l’infini : tous les islamistes sont monothéistes. Le christianisme est monothéiste. Donc le christianisme est islamiste. Ou bien encore : tous les terroristes sont croyants. Les catholiques sont croyants. Les catholiques sont donc des terroristes. Bref, pas un pour rattraper l’autre, une bande d’obscurantistes qui tentent d'éteindre la lumière du monde qu’est Charlie Hebdo. La double page du centre pointe, d’ailleurs, nommément du doigt un florilège d’« obscurantistes » - à la religiosité, pourtant, pour certains, assez élastique : le pape, Marine Le Pen, Donald Trump, Michel Houellebecq ou encore Éric Zemmour…

La cantatrice est chauve, ou pas - selon que l’on considère Gérard Biard ou Riss -, mais on connaît par cœur son refrain et il serait temps d’en changer, il commence à lasser. Le chat Socrate est un peu hérissé.

"Charlie Hebdo : quatre ans après, un numéro spécial amer", titre Libération. "Quatre ans après l’attentat, Charlie Hebdo est redevenu déficitaire", explique, de son côté, BFM TV, et le budget conséquent consacré à la sécurité des journalistes ne saurait seulement l’expliquer. "Beaucoup se sont déjà lassés" des combats de Charlie Hebdo : 30.000 exemplaires en kiosque et 30.000 abonnements, selon Riss. Soit un chiffre supérieur à celui d’avant janvier 2015, mais qui n’a rien à voir avec celui des quelques mois suivant l’attentat : ventes en kiosque par millions, 260.000 abonnés.

Le fameux "Je suis Charlie" s’est peu à peu évanoui. Mais le jeu « Où est Charlie ? », lui, est toujours furieusement d’actualité : quatre ans après, le récent attentat sur le marché de Strasbourg l’a montré, l’islamiste est toujours caché dans sa cave, sa cité, sa banlieue, et on le cherche désespérément comme une aiguille dans une meule de foin.

Preuve que les incantations, même animées des meilleures intentions, sont des illusions. Preuve que le psittacisme facile ne peut rien contre le terrorisme, si l’on refuse de regarder la réalité en face. Une piste, pour Charlie Hebdo, afin de retrouver le cœur de ses lecteurs, serait peut-être de prendre le parti de l’honnêteté ?

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07 janvier 2019 à 18:27

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