Alors que la campagne ayant précédé le premier tour de la présidentielle se gorgeait de polémiques inutiles, d’habiles esquives des sujets de fond, de savantes affaires dans l’affaire dans l’affaire, on pouvait mal imaginer être encore surpris au second tour. Sur le papier, tout semble se passer comme prévu, plus encore pour le scrutin qui nous attend. On comprend, alors, mal qu’Emmanuel Macron ait pu s’embarquer dans une lugubre campagne quand le trône lui tendait tant les bras.

Dimanche dernier, tout s’était passé comme prévu. Il n’est pas utile d’être fin stratège pour savoir que le seul enjeu, pour un candidat aussi inconsistant qu’Emmanuel Macron, était d’arriver à se hisser au second tour face à Marine Le Pen. Désormais, c’est chose faite, et il ne lui restait plus qu’à cueillir la victoire d’un peuple bêlant l’opposition à la xénophobie et au fascisme. Mais voilà que la mécanique de ces dernières décennies, trop bien rodée, n’a d’autre choix que de se surjouer elle-même. En effet, il est d’usage, face au Front national, de remettre au placard tout raisonnement sensé, de sortir ses slogans de caniveaux, de se parer d’une intouchable probité en revêtant ses gants de soie républicains.

Systématiquement, nous avions jusqu'alors la caricature. Grâce à Emmanuel Macron, nous découvrons la caricature de la caricature.

Il est tentant d’appeler les morts à la rescousse, eux dont la parole ne couvre un chant de moineau. Champion toute catégorie : le général de Gaulle, déterré bien trop souvent. Personnage clé de notre histoire, accessible aux politiques en manque de culture, le Général est confortable pour avoir l’air républicain et se considérer comme homme d’État. Le premier tour de la présidentielle en abusa longuement.

Mais en moins de dix jours, il ne sera plus seul à bénéficier d’une telle reconnaissance. Le 28 avril, Macron extirpe les victimes d’Oradour-sur-Glane ; sans conteste, elles voteraient pour lui. Le 30 avril, après avoir fait honneur aux morts de la Légion étrangère, il se sera concocté le soutien appuyé des victimes de la Shoah, dont on se demande si elles ne périrent pas le siècle précédent simplement pour sa gloire. Le 1er mai, la résurrection opportune de Brahim Bouarram, victime de l’extrême droite il y a 22 ans, parachèvera sa campagne mémorielle. Le 2 mai, le petit-fils du général de Gaulle lui-même houspille vertement Nicolas Dupont-Aignan pour son ralliement inopportun. Un coup de plus dans le cadavre de son grand-père. La boucle est bouclée.

La ficelle est grosse quand on fait feu de tout mort. Je peine à croire qu’elle marche encore. Le communicant, obnubilé par la performance médiatique, l’use jusqu’à rompre, sans finesse ni retenue. Nous n’avons plus de chars pour le combat, plus de batailles pour le fait d’armes. Nous avons nos bulldozers médiatiques et la guerre 4G.

Je ne vois plus bien la différence entre le révisionnisme et cette instrumentalisation. À défaut de convaincre les vivants, le nécrophage Emmanuel Macron achève les disparus et les dévore jusqu’à l’indigestion. De quoi nous faire vomir, nous qui pensions qu’une civilisation avait la décence de leur rendre des hommages désintéressés, ou la sagesse de laisser les morts enterrer leurs morts.

Emmanuel Macron est leur candidat, et non celui des vivants. Dans sa fureur idéologique, il a oublié de s’occuper un peu de ces derniers. Dommage, quand on sait que ce sont eux qui votent dimanche.

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03 mai 2017 à 11:53

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