Si M. Macron s’intéressait un peu à la Justice…

La justice est une si belle notion, une exigence si sacrée qu'il vaut mieux ne pas s'en approcher de trop près. Et il convient de regarder de loin l'institution qui l'incarne. À la toucher, on risquerait de la briser ou de se salir.

Le président de la République fait preuve, à l'égard du monde de la Justice, d'une respectueuse indifférence, peut-être même ignorance, tant ses préoccupations fondamentales l'entraînent vers d'autres enjeux démocratiques, économiques et sociaux. C'est dommage, mais ce n'est pas nouveau.

Faut-il alors se consoler avec l'implication du Premier ministre qui a l'élégance de se camper aux côtés de chaque ministre concerné pour donner l'impression que le gouvernement tout entier est mobilisé et pour enrichir, par le lustre de sa présence, l'aridité des projets judiciaires et techniques ?

Je continue à penser que n'importe quel garde des Sceaux ne fait pas l'affaire et je regrette que, dans le vivier qui s'offre à un pouvoir, celui-ci, de droite, de gauche ou d'ailleurs, se complique la tâche en n'optant pas pour l'évidence du meilleur choix - je songe notamment à Anne Levade ou à la continuation de Jean-Jacques Urvoas - mais pour des surprises qu'il espère heureuses.

Il faut se défier des Grands Soirs pour la Justice parce que, jamais opératoires, ils ne sont qu'un prétexte que se donnent le dilatoire et l'impuissant pour échapper à l'indignation citoyenne. Je rêve d'une politique qui s'en tiendrait chaque jour à de petits matins modestes.

Cette humilité efficace aurait d'abord pour effet d'éliminer commissions, colloques, consultations, fantasmes, imaginations, cénacles et savants aréopages destinés à retarder l'action, à analyser la crise et à faire patienter à l'infini. Ces collectifs prétentieux ne seraient pas plus utiles s'ils étaient présidés par des personnalités incontestables et impartiales. Cela fait trop d'années qu'on se "prend la tête" sur la Justice !

L'immense ministre de la Justice dont nous aurions besoin aujourd'hui supprimerait vite le superfétatoire nuisible - par exemple la contrainte pénale -, s'attacherait à se glorifier d'une abstention intelligente et lucide et fuirait toute envie de bouleverser un paysage qui, même imparfait, serait moins préjudiciable à la qualité du service public que les mille variations qui ne cessent de le déstabiliser en prétendant l'améliorer.

À bien examiner les ambitions récentes qui, paraît-il, en 2018 vont modifier le visage de la Justice, je mesure à quel point même les politiques les mieux avisés et les bonnes volontés les plus estimables sont tenaillés par le prurit d'appréhender le complexe parce que le simple serait trop accessible et, en quelque sorte, indigne de la majesté d'un pouvoir digne de ce nom.

Quelques pistes, pourtant, auraient mérité d'être envisagées même si, sans la moindre ironie, elles auraient présenté le désavantage de placer le citoyen au cœur des problématiques et la magistrature comme cible possible !

- Veiller à proposer, pour que la validation du Conseil supérieur de la magistrature ait du sens, des personnalités de qualité, pour l'esprit, le savoir et le caractère, et non pas seulement de futurs complaisants. Procéder à des nominations qui n'étonnent pas l'opinion publique comme celle, par exemple, de l'ancienne présidente du Syndicat de la magistrature qui n'a toujours pas compris ce que le mur des cons avait de choquant.

- Seule révision capitale à accomplir pour que la Justice soit plus lisible, plus visible : séparer le siège et le parquet, les constituer comme deux corps distincts.

- Imposer un inventaire exhaustif de la France judiciaire, cours d'appel et tribunaux de grande instance, pour que la faiblesse des moyens humains et matériels soit établie avec précision, les retards intolérables constatés et les incuries chroniques relevées. Cet état des lieux accompli, faire en sorte qu'une égalité soit restaurée pour que plus aucune excuse ne puisse être invoquée face à une administration de la Justice défaillante, où que ce soit.

- Instaurer un drastique contrôle professionnel : quel service trouve-t-on, quel service laisse-t-on ? En tirer les conséquences pour sanctionner les médiocres, les paresseux ou promouvoir, au contraire, les dynamiques et les meilleurs. Il devrait s'appliquer du plus bas au plus haut.

- Mettre en œuvre un système de responsabilité plus sophistiqué ne se contentant pas de blâmer les comportements ostensiblement scandaleux mais n'hésitant pas à viser les dévoiement de certaines pratiques judiciaires.

- Ne plus gémir sur l'état des prisons mais, tout en les considérant comme nécessaires en accélérant la construction de nouvelles places, veiller à réparer autant que possible, pour condamnés et surveillants, les dysfonctionnements humains et matériels affectant certains établissements. Il est anormal que le pragmatisme ne parvienne pas à régler des problèmes, contre la lourdeur et la bureaucratie pénitentiaires.

- Le syndicalisme judiciaire doit devenir ou redevenir une force de proposition. Il doit éviter de se muer en machine de guerre politique, servir la Justice et non pas s'en servir.

- Reprendre les journées portes ouvertes qui permettent aux citoyens de se familiariser avec une institution qui n'est généralement perçue que sur le mode de l'échec ou de la contrainte.

Il y a du travail si on tente de concrétiser ces orientations qui s'articulent toutes autour de l'idée que la Justice est un service public, que le citoyen, en s'en mêlant, s'occupe de ce qui le regarde et que le magistrat n'a pas que des jugements à rendre mais de la confiance à reconquérir.

En toute bonne foi, je cherche ce qui, dans ce qui nous a été annoncé, sera en mesure de répondre vite à tous ces défis.

Surtout avec un président de la République qui se tient en surplomb dans une pose de respectueuse indifférence.

Philippe Bilger
Philippe Bilger
Magistrat honoraire - Magistrat honoraire et président de l'Institut de la parole

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