Loi sur l’alimentation : un texte déjà périmé ?

Est-ce être devin ou bien malhonnête (peut-être même les deux ?) que de dire, avant même l’issue du vote du projet de loi "pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable", que ce texte n’aura aucun impact sur l’amélioration de la condition de nos agriculteurs ?

En quoi la "contractualisation inversée" promise par le ministre de l’Agriculture, Stéphane Travert, va-t-elle permettre aux agriculteurs d’être rémunérés au juste prix ? Qui peut croire, à moins d’être un tant soit peu naïf, que nos paysans pourront fixer le prix final du quintal de blé, du kilo de porc vif ou d’un kilo de poires, rien qu’en partant de leur coût de revient réel auquel pourra s’ajouter une marge substantielle leur permettant non seulement de vivre décemment mais également de réinvestir dans leur outil de production ?

C’est vite oublier que nous vivons dans une économie libérale, capitalistique, où les prix sont libres, où la concurrence fait rage même s’il existe quelques garde-fous, où les grandes enseignes détiennent le pouvoir de vie ou de mort (commerciale, s’entend) sur tel produit et donc tel fournisseur. Rares sont les agriculteurs qui traitent de gré à gré avec le directeur de la grande surface du coin. Quand la transaction s’effectue, le rapport reste déséquilibré. L’enseigne impose ses règles. Pas l’agriculteur ou le groupement de producteurs. Ces derniers n’ont pas les reins assez solides. Et puis, dans le texte proposé, la contractualisation n’a rien d’obligatoire. Comme on le laisse entendre au sein du ministère de l’Agriculture : « La loi ne va pas régler les problèmes de compétitivité de certaines filières. »

Les responsables des grandes enseignes ne sont pas des philanthropes. Ils ont plutôt l’amour d’un magasin bien rempli, promesse d’un chiffre d’affaires bien fourni. C’est pourquoi l’agriculteur pourra toujours rêver à la fin des promotions tous azimuts comme le propose ce projet de loi. On peut retourner le problème dans tous les sens, le produit qu’il vend ne représente, à l’exception des fruits et légumes, qu’une part infime dans le produit final transformé. Même avec « un gratuit pour deux achetés », les agriculteurs ne vont pas gagner des cents et des mille.

Les leaders de la grande distribution ont été assez intelligents pour contourner les règles des promotions et créer de nouvelles remises, des prix anniversaires, des prix cassés, les jours « -30 % », etc., qui ont su combler le vide juridique de ces lois. Nul doute que leur imagination sera tout aussi fertile après l’application de ce texte, prévue en novembre 2018. En attendant, un tiers des agriculteurs continuera à gagner environ 350 euros par mois pour plus de 50 heures de travail par semaine pendant qu’un tiers supplémentaire peinera à dégager un SMIC. Avant même d’être votée, cette loi a déjà un goût d’inachevé.

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