Ainsi donc, la députée Laetitia Avia a présenté lundi une proposition de loi destinée à combattre "les contenus haineux en ligne". Qui pourrait s’opposer à ce noble combat ? On se lève tous contre les contenus haineux en ligne, comme jadis pour Danette. D’autant que nous en avons tous plus ou moins fait les frais. C’est très désagréable, et l’on voudrait bien que cela cesse. Voilà la théorie. La pratique, elle, laisse sceptique.

Qui en circonscrira le périmètre ? La nouvelle loi donnerait aux réseaux sociaux un délai de 24 heures, pour retirer les commentaires racistes, antisémites, xénophobes, homophobes, ou sexistes et… c’est tout ? Quid des autres victimes ? De celles qui ne cochent aucune des cases ? Des rouquins, des patapoufs, des demi-portions, des asperges sur pattes, des gros pifs, des chauves, des double-mentons, des boutonneux, des mono-sourcils, des poilus-du-dos, des édentés… et tutti quanti ? Toute insulte n’est-elle pas condamnable ? Pourquoi faire une liste comme si elle pouvait être exhaustive ?

Comment définir le contenu haineux ? Selon Laetitia Avia, qui écarte l’objection, du revers de la main, une insulte est une évidence. Autrement dit, son identification fait l’objet d’un consensus immédiat…

…ou pas.
Ce que d’aucuns appellent insulte est appelé par d’autres humour. Quand Guy Bedos dit que Marine Le Pen ou Nadine Morano est une « conne », c’est paraît-il - la justice a tranché - de l’humour. Et pourtant, Laetitia Avia, trouve-t-elle drôle d’être traitée de conne ? Moi pas, et quelque-chose me dit qu’elle partage mon avis. Alors est-ce le terme, celui qui l’emploie, la personne visée qui caractérise l’insulte ? Ou une imbrication plus ou moins subjective des trois ? N’est-ce pas reconnaître que pour un même mot la qualification n’est pas aisée ? Que c’est peut-être pour cela que des tribunaux passent des heures à trancher, et que ce transfert expéditif de prérogatives à des plateformes privées, promues illico juges (sans appel) et censeurs au petit pied, est pour le moins imprudent ?

Ce que d’aucuns appellent opinion est appelé par d’autres propos haineux : c’est le glissement rhétorique classique, sur le toboggan bien savonné des phobes. On l’a vu dans l’affaire du hijab Décathlon : tu as une objection, c’est donc que tu es islamophobe, et l’islamophobie, c’est la haine ! Idem pour la PMA pour toutes : Agnès Thill est contre, c’est donc qu’elle est homophobe. Et l’homophobie, c’est…, etc.

On l’a compris, il y a contenu haineux et contenu haineux. Il suffit pour s’en convaincre de lire dans Libération la tribune en date du 12 février dernier de « féministes contre le harcèlement » - association qui se prétend en pointe sur le sujet -, intitulée « Contre le cyber-harcèlement, nous ferons front » et commençant par ces lignes : « Les harceleurs en ligne ne sont pas des trolls, ce sont les petits soldats d’une armée en guerre pour faire taire les femmes et les groupes minorés ». Comme si seules ces deux catégories de population faisaient l’objet d’injures.

Signataire emblématique de ce morceau de bravoure hémiplégique : Rokhaya Diallo. Elle a retweeté la jolie tribune sur son compte avec le hashtag #ligueDuLove. C’est mignon tout plein. Sauf qu’en septembre dernier, elle a posté sur ce même compte Twitter un extrait d’émission l’opposant sur un plateau à Charlotte d’Ornellas. "C’est qui cette pute ? » a commenté aussi sec le rappeur Jok’air. Rokhaya Diallo de répondre en "blaguant" gentiment : « Faut respecter les putes qui gagnent honnêtement leur argent :) »

Autrement dit, Charlotte d’Ornellas est "pire qu’une pute". Pas très ligue du Love, n'est-ce pas ? À ceux qui l’interpellent alors, sur Twitter, Rokhaya Diallo lance un « bon courage pour la plainte » assorti d’un smiley pleurant de rire. Et il faudrait faire confiance aux fers de lance de la lutte contre le cyber-harcèlement ?

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12 mars 2019 à 19:27

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